Hurl – L’Hiver qui Marche

 

Le sang coulait le long du bras d’Hurl, chaud malgré le vent glacial. Il venait de prendre la vie de l’homme qui, toute son enfance, l’avait brisé. Son père gisait là, dans la neige, les yeux ouverts sur le vide, sans un souffle pour troubler l’air sec des hauteurs. Et lui, Hurl, debout dans la tempête, ne ressentait rien.

Rien, sinon le froid.

La neige, s’imbibait lentement du rouge vif de la mort. Une scène irréelle, presque sacrée. Comme si les montagnes elles-mêmes retenaient leur souffle, témoins silencieuses de ce moment où un fils, enfin, brise la chaîne. Ce fut là que Hurl devint chef. Non par héritage. Par meurtre.

Dans cet instant suspendu, il vit défiler les images de sa vie.

Il se revit enfant, les mains gelées autour d’une hache trop lourde pour lui, obligé de s’entraîner alors que les autres jouaient. Il se souvint du foyer, sombre et étroit, où son père, Huruld, chef de clan respecté et redouté, ne voyait en lui qu’un héritier à forger comme on bat le fer, à grands coups de poing et de cris. Dès qu’il sut marcher, Hurl apprit à frapper. Dès qu’il sut parler, il apprit à se taire. Toujours ivre, son pere échangeait l’affection contre des coups et du mépris. De ces soirs glacés où chaque mot tendre était un luxe interdit, chaque rêve une faiblesse. Hurl n'en garde qu'un souvenir amèr.

Il se revit à huit ans, traîné sur son premier champ de bataille, entouré de cris, de lames et de corps broyés. Le sang dans la neige. L’odeur du métal et du cuir brûlé. Il ne pleura pas ce jour-là. Il n’a plus jamais pleuré depuis d'ailleurs, mais le soir il ne put fermer les yeux parce qu’il comprit que sa vie ne serait faite que de ça. Les années passèrent comme passent les batailles. Son corps grandit, son cœur se referma, et l’enfant devint un mur de silence. Il devint fort, parce qu’il n’avait pas le choix. Il devint rapide, parce que son père frappait sans prévenir. Il devint résistant, parce qu’aucune larme n’était jamais autorisée.


Lorsque Huruld vieillit et que son souffle devint plus court, tout son clan savait que l’heure approchait. La coutume dictait que le fils défie le père. Dans la plupart des clans, ce duel était une transition d’honneur. Une tradition millenaires pour assurer que le chef de clan sera toujours le plus fort pour défendre les siens et les guider. Certains pères deviennent alors conseillers. D’autres, exilés. Mais parfois… parfois, le sang appelle le sang.

Il retarda le combat autant qu’il le put. Mais Huruld, provocateur jusqu’à l’os, l’appela un jour devant le village tout entier : « Viens prendre ce trône que tu convoites, ou reste à jamais un lâche. » Il rit, ivre et cruel, sans savoir qu’il venait de signer sa fin.

Le jour vint.

Hurl avait écrasé un énième adversaire lors d’une rixe dans les cols. Il sentit que l’heure était venue. Le froid mordait la montagne, et les anciens observaient. Il lança le défi. Son père, Huruld, répondit. Le combat fut terrible. Deux bêtes dressées l’une contre l’autre. Huruld frappait avec la rage d’un vieux loup qu’on veut abattre. Sa force, brutale, soulevait la pierre, fendait la glace. Hurl, lui, frappait avec les années de haine, toute l’enfance volée, les humiliations, les coups. Il ne se battait pas pour la place du chef : il se battait pour arracher son âme des chaînes du passé. Le combat dura des heures. Les roches pleuraient de givre. Les deux hommes saignaient, hurlaient, rugissaient. Jusqu’à ce que Hurl, dans un dernier cri, déchaîne sa magie de glace. Un coup terrible qui fit vaciller la montagne et mit son père à terre.

Il s’approcha alors, haletant, couvert de sueur et de sang. Son bras tremblait encore sous l’effort. Il tendit la main à Huruld, lui offrant une fin digne, la possibilité de vivre comme ancien, conseiller du clan. Mais Huruld cracha au sol. Cracha sur son fils. Et cracha ses dernières insultes.

Alors le cœur d’Hurl, déjà vidé, s’éteignit un peu plus.

Il leva sa main, et l’abattit.

Il n’y eut pas de hurlement. Pas de dernière parole. Juste un souffle, arraché au vent et le silence de la montagne. Ainsi mourut Huruld. Et naquit Hurl, orphelin et chef des siens.

 

Un nouveau monde

Après la mort de son père et son ascension à la tête du clan, Hurl ne devint pas le chef que beaucoup attendaient. Là où l’on redoutait un nouveau seigneur de guerre, il se montra calme, prudent, presque silencieux. Il n’avait ni goût pour la conquête, ni soif de domination. Le sang versé autrefois ne lui avait laissé que des cicatrices, pas de gloire.

Le royaume de Barf, terre glacée où la force prime sur le droit, n'était pas un endroit propice à la paix. Les rixes entre clans, les pillages saisonniers, les duels d’honneur, tout cela faisait partie du rythme brut de la vie nordique. Mais Hurl, lui, voulait briser l’engrenage. Petit à petit, sans fracas, il réussit à réduire les conflits. Il traçait des frontières plus claires, négociait les partages, faisait parler les anciens plutôt que les haches. Ce n’était pas une paix totale, jamais, mais ce fut un apaisement pour son clan. Et pour cette terre, c’était déjà un miracle.

Cependant, la vraie paix, Hurl la trouva ailleurs.

Elle s’appelait Rin.

Il ne l’avait jamais vraiment remarquée durant son enfance, plongé dans les ombres de son père et les cris du métal. Mais elle, depuis toujours, l’observait de loin. Fille du forgeron, elle avait vu l’enfant taciturne qu’il était, les épaules lourdes, le regard ailleurs. Elle n’avait jamais eu peur de lui, même lorsqu’il portait déjà la colère du clan sur son dos. Et quand leurs chemins finirent par se croiser, quelque chose en Hurl céda. Une brèche. Une chaleur.

Rin n’avait ni magie, ni armes, ni prestige. Mais elle possédait ce qu’il n’avait jamais eu : un sourire sincère dans un monde qui n’en offrait plus. Elle parlait peu, riait doucement, et pour la première fois, Hurl eut l’impression d’exister autrement que comme le fils d’un tyran ou comme le seigneur d’un peuple de glace.

Ils vécurent des années de paix discrète. Et de cet amour naquirent quatre fils.

Ragnar, l’aîné, naquit lors d’un hiver si rude que les loups eux-mêmes se terraient. Il fut grand, fort, fier.
Bjorn, le second, avait les yeux des tempêtes, et le cœur aussi solide que la pierre.
Turl, le troisième, était un esprit libre, un éclat de feu dans ce monde de glace.
Et
Gurl, le plus jeune, marchait déjà avec les anciens, reveur et doux.

Hurl les aimait avec une intensité qu’il n’aurait jamais cru possible. Il leur transmit les lois du nord, la discipline, l’honneur, la survie. Il leur enseigna à manier les armes, à lire les courants du vent, à écouter la montagne. Mais il ne répéta jamais les erreurs de son père. Jamais de coups injustes. Jamais d’humiliation. Il leur laissa le droit d’aimer, de pleurer, de douter. Il leur donna un foyer — chose qu’il n’avait jamais eue.

Pour la première fois depuis des générations, le foyer du chef n’était pas une forteresse de colère, mais une maison de pierre, de feu, et d’amour. Mais Hurl savait que les années filaient. Et avec elles approchait le jour où Ragnar, son fils aîné, deviendrait assez fort pour réclamer sa place. Dans Barf, rien n’échappe au cycle.



Les saisons passèrent. Les fils d’Hurl grandirent, gagnèrent en stature, en force, en renommée. Et pourtant, aucun ne réclama jamais le duel. Aucun ne se leva pour contester l’autorité de leur père, comme le voulait la tradition. Pas un mot. Pas un geste.

Un soir d’hiver, Hurl les convoqua dans la grande salle du village. Là, devant l’âtre où flambait un feu immense, il les attendait. Les murs, baignés de pénombre, semblaient écouter. Le bois craquait sous le silence.

Ragnar, Bjorn, Turl et Gurl s’assirent autour de lui, leurs visages éclairés par les reflets dansants des flammes.

« Pourquoi, » demanda Hurl, d’une voix grave et posée, « n’avez-vous toujours pas réclamé votre droit ? Pourquoi aucun de vous ne m’a défié, comme l’exige notre sang ? »

Il n’y eut pas de réponse immédiate. Seul le crépitement du feu emplit la salle.

Puis Ragnar prit la parole, la voix ferme mais empreinte d’émotion :
« Parce que nous t’aimons, père. Parce que jamais nous ne verrons en toi un homme à abattre. Tu as élevé ce clan dans la justice, dans la force et dans la paix. Tu es celui que nous suivrions jusqu’au bout du monde. Nous n’avons aucune envie de te détrôner. Nous voulons t’aider, marcher à tes côtés, non dans ton ombre. »

Les mots frappèrent Hurl comme une lame invisible. Sa gorge se serra. Lui, l’homme qui n’avait jamais connu que la dureté, se retrouva au bord des larmes. Ce fut peut-être l’instant le plus doux de toute sa vie.

Mais il se redressa aussitôt, reprenant la posture du chef.
« Ce que vous dites est noble… mais dangereux. Ce que vous appelez loyauté, les autres clans l’appelleront faiblesse. Et Barf, mes fils, ne pardonne pas la faiblesse. Si vous ne me défiez pas, alors d’autres viendront pour le faire. Et ils ne connaîtront ni l’amour ni la pitié. »

Mais les fils refusèrent. Ils ne renonceraient pas à ce qu’ils étaient. Ils étaient unis non par la haine, mais par une éducation plus juste, plus libre. Pour eux, cette coutume n’était qu’un vestige d’un passé qu’il fallait enterrer.

Hurl soupira. Il leva la main, comme pour suspendre le débat.
« Réfléchissez. Non pour moi, mais pour ceux qui vivent sous notre toit. Le bien du clan passe avant tout. »

 

Hardalson

Quelques semaines plus tard, ce que Hurl redoutait se produisit.

Un grondement s’éleva dans la vallée. Un cortège s’approchait. C’était Hardalson, seigneur du clan de Borin, vêtu de peaux épaisses et d’acier brut, monté sur un destrier noir comme la nuit. Il vint seul jusqu’à l’entrée du village, le torse droit, les yeux pleins de mépris.

Devant tous, il lança :
« Regardez vos fils, Hurl. Quatre chiens sans crocs. Quatre pleutres incapables de réclamer ce qui leur revient. Tu vis trop longtemps. Et tu diriges un clan devenu faible. L’hiver a gelé leur cœur comme il a flétri le tien. »

Les poings de Ragnar se serrèrent. Gurl avança d’un pas. Mais Hurl leva la main et leur coupa la parole.

Il s’approcha, lentement, avec la gravité des anciens jours, puis planta son regard dans celui de Hardalson.

« Il est venu pour moi, pas pour vous. Ce combat ne sera ni une honte, ni une ruse. Et ici, devant le la montagne, nous verrons lequel de nous deux mérite encore de porter la couronne du clan. »

Ils s’étaient donné rendez-vous au sommet du Pic Hurlant, lieu sacré où les destins se nouaient dans la neige et le sang. Hardalson n’était pas un insensé. Il connaissait la légende d’Hurl, sa force brute et son sang glacé. Mais il avait déjà goûté à sa chair, jadis, lorsqu’ils n’étaient que des fils prêts à devenir des hommes. Ce jour-là, il l’avait vaincu, manquant de peu de l’achever, si le père d’Hurl n’était pas intervenu. Il avait grandi avec cette victoire tatouée dans son orgueil. Aujourd’hui, ce n’était pas seulement un combat, c’était une revanche. Et surtout, une opportunité : deux clans unis sous sa bannière… une marche de plus pour son ambition.

Quant à Hurl, il ne pouvait reculer. Ce duel n’était pas un choix, mais un devoir. Refuser, c’était abandonner son clan à la honte, à l’envahisseur. Il combattrait. Non par goût du sang, mais par devoir. Et s’il devait mourir, alors ce serait avec dignité, les yeux ouverts, le cœur libre.

La lune baignait la montagne d’une lueur spectrale. Autour du cercle d’honneur, des bougies enfoncées dans la neige marquaient le terrain du duel. Le froid mordait la peau, le silence était presque sacré. Hurl arriva le premier. Droit, massif, sa hache longue attachée dans le dos, son regard était calme — presque apaisé. Il savait pourquoi il était là. Il n’avait plus rien à prouver, seulement quelque chose à préserver. Hardalson entra ensuite, silencieux comme un loup. Moins imposant, mais plus nerveux, les traits aiguisés par la rage et l’ambition. Dans ses yeux, il n’y avait ni peur ni hésitation, seulement cette lueur qu’ont les hommes qui veulent dévorer le monde.

Hurl prit la parole en premier.

— Tu es un adversaire redoutable, Hardalson. Si je dois périr ici ce soir, alors ce sera un honneur de tomber par ta main.

Hardalson inclina légèrement la tête. Un respect mutuel, froid, guerrier. Puis le silence. Puis… le combat.

Dès les premiers mouvements, la magie fendit l’air. Hurl déchaîna vents et lames de givre, frappant avec la brutalité d’un blizzard ancien. Des éclats de glace dansaient autour de lui, formant une tempête miniature. Hardalson riposta aussitôt. Ses lames noires, acérées comme des serres de rapace, fusaient en arcs meurtriers. Elles étaient pensées pour tuer, pour lacérer dans l’ombre.

Le duel fut d’une intensité rare. Hurl avançait, bloc de rage glacée, fracassant les assauts comme un mur de pierre. Il frappa, encore, et encore, jusqu’à faire plier le genou de Hardalson.

Mais il commit l’erreur des anciens lions : croire l’ennemi brisé. Il baissa sa garde, prêt à frapper pour achever le duel d’un dernier coup, le coup de grâce d’un seigneur sûr de sa force.

Hardalson n’avait pas tout donné.

Dans un éclat fulgurant, ses lames noires jaillirent dans un sifflement déchirant. Un geste net. Une précision chirurgicale.

Le bras gauche d’Hurl fut tranché.

Le cri qu’il poussa n’était pas seulement de douleur, mais de fureur, de désespoir. Son sang, rouge sur la neige blanche.. Il s’effondra, haletant, à genoux, le regard tourné vers le ciel.

Le sang chaud d’Hurl se mêla à la neige éternelle. Rouge sur blanc, vie sur silence. L’éclat souillait la pureté glaciale, et dans cette flaque qui s’étendait, Hurl vit un reflet du passé. Un souvenir brutal jaillit, le jour où il avait mis à mort son propre père, au même sommet, dans le même cercle, le cœur vide.

La douleur était atroce. Son bras gisait au sol comme une bête étranglée. Le monde tanguait autour de lui, les hurlements du vent se mêlant à ceux de son propre corps. Il crut s’effondrer, mais quelque chose en lui refusa. Une vieille promesse. Une rage qui couvait depuis toujours.

Hardalson, lui aussi, luttait pour rester debout. Son souffle était haché, ses jambes tremblaient, son regard tentait de rester clair. Il avait mis toute sa force dans cette estocade, persuadé d’avoir arraché la victoire. Mais en voyant Hurl, son regard vrillé dans le sien, il comprit. Ce n’était pas un homme face à lui. C’était une tempête. Une bête acculée. Un roi prêt à tout perdre.

Alors il tenta la voie de la raison. Peut-être par stratégie. Peut-être par peur.

— Hurl… je ne veux pas te tuer. Tu es un grand homme. Je te respecte. Abandonne. Ce duel est terminé…

Mais Hurl ne répondit pas. Ses yeux étaient vides, son esprit ailleurs — ou partout à la fois. Certains des témoins murmurèrent : “Il est devenu un Berserker.”

Soudain, comme un éclair tombé de la montagne, Hurl fonça.

Le premier coup fut paré, mais la puissance était telle que les pieds de Hardalson s’enfoncèrent dans la neige gelée. Hurl enchaîna sans relâche, déchaînant une fureur presque surnaturelle. Hardalson ripostait, mais reculait. Il n’était plus le prédateur, mais la proie. Pourtant, dans son esprit stratégique, il restait une lueur d’espoir : un instant, une faille, une ouverture suffirait.

Et cette faille vint. Hurl glissa légèrement en frappant, exposant son flanc. Hardalson, vif comme le croc d’un loup, lança une contre-attaque fulgurante. Mais Hurl esquiva de justesse, le coup ne fit qu’effleurer son oreille, laissant une traînée chaude. La riposte fut instantanée. D’un geste rageur, Hurl projeta une pluie de pics de glace. Les lames gelées transpercèrent Hardalson, le clouant à la terre. Il ploya le genou, le torse lacéré, le souffle erratique. Le cercle du duel n’était plus qu’un charnier glacé. Hurl, à bout de forces, abandonna la magie. Il marcha vers son adversaire, traînant la hache comme un condamné. Il leva les yeux vers Hardalson, qui baissa la tête — un signe de reddition. Le duel était terminé. Le sang avait choisi son roi.

Hurl leva sa hache.

Et au dernier instant… la trahison.

Derrière lui, surgies comme des vipères, une dizaine de lames noires se formèrent dans l’air et se plantèrent dans son dos. Le souffle coupé, Hurl laissa échapper un râle rauque. Sa hache glissa de ses mains et tomba dans la neige avec un bruit sourd. Ses jambes cédèrent. Il tomba à genoux. Le regard fixe. La bouche entrouverte. L’expression figée entre incompréhension et résignation.

Hardalson se redressa, titubant, le visage ravagé, le regard triomphant.

Le duel était terminé. Mais l’honneur, lui, venait de mourir.

Les cris fendirent la nuit glaciale comme des lames jetées contre le silence.

TRAÎTRE ! LÂCHE ! NOTRE PÈRE AVAIT GAGNÉ !

Les voix de Ragnar, Bjorn, Turl et Gurl s’élevaient, rugissantes, pleines de rage et de désespoir. Leurs visages étaient déformés par la colère, leurs poings frappaient contre les gardes qui les empêchaient d’entrer dans le cercle sacré. Nul n’avait le droit de briser le duel. Et pourtant, le duel avait déjà été trahi.

Hardalson n’entendait rien. Après un tel combat, le monde s’efface. Il ne restait que lui et cet homme à genoux, cet ennemi devenu miroir. Il s’approcha lentement.

Souhaites-tu mourir en homme d’honneur, Hurl ? demanda-t-il, la voix basse, presque respectueuse. Ou préfères-tu vivre comme un lâche ?

Hurl leva la tête, le regard vacillant mais fier. Le froid mordait sa chair, le sang s’échappait lentement de ses plaies, mais sa voix, elle, était claire.

J’ai vécu une vie heureuse depuis le jour où j’ai rencontré Rin. Mes fils m’ont apporté la joie, le rire et la lumière que je n’avais jamais connus. Ils ont illuminé mon âme. Je suis né en homme libre, et je partirai comme tel. Prends soin d’eux…

Il leva les yeux vers le ciel. Il n’entendait plus rien. Les cris s’étaient éteints, le vent s’était tu. Tout était devenu silence.

Au-dessus de lui, le ciel nocturne s’étendait, d’un bleu profond, d’un calme surnaturel. Des milliers d’étoiles scintillaient, vierges de tout nuage. Une mer de lumière dans l’immensité glaciale. Et dans ce silence suspendu, Hurl pensa, simplement : J’aurais aimé… un peu plus de temps avec eux.

Il attendit la fin. Il l’attendit longtemps. Le coup de grâce ne venait pas.

Qu’est-ce que tu attends ? murmura-t-il. Fais-le.

Mais le silence persista. Quelque chose clochait.

Hurl, rassemblant ses dernières forces, leva les yeux. Et ce qu’il vit le laissa sans voix.

Le corps d’Hardalson, figé comme une statue, s’effondra lentement dans la neige. Sa tête avait roulé à quelques pas, les yeux encore écarquillés par la surprise. Derrière lui, le souffle court, les mains rougies par le sang, Ragnar tenait encore sa lame.

Il avait franchi le cercle.

Hurl voulut parler, crier, pleurer — mais aucun mot ne vint.

Ragnar s’agenouilla devant lui, le regard fiévreux, dévoré par l’émotion.

Je ne pouvais pas te laisser mourir, père. Même si le monde entier me maudit pour ça.

Au moment précis où Hurl leva les yeux vers les cieux étoilés, prêt à accueillir la mort comme un vieil ami, tout bascula.

Ragnar, debout au bord du cercle, sentit le monde se briser en lui. Ce n'était plus un duel entre deux hommes : c'était un héritage souillé, une coutume devenue poison. Il vit dans les yeux de son père l’acceptation résignée d’un destin absurde, d’une mort qu’il ne méritait pas. Et dans ce regard, Ragnar lut ce que seul un fils peut comprendre : un adieu silencieux, un pardon muet, un amour offert jusqu’au dernier souffle. Son cœur explosa. Il n’y eut ni réflexion, ni hésitation. Seulement l’instinct. La voix primitive du sang. En un éclair, une explosion de givre éclata autour de lui. Les trois gardes qui l’encadraient, pris au dépourvu, furent projetés en arrière, figés par la morsure de la glace. L’arène sacrée, inviolable depuis des générations, venait d’être brisée. Mais Ragnar n’était pas seul.

Bjorn, Turl et Gurl comprirent aussitôt. Les regards entre frères n’avaient besoin d’aucun mot. En un battement de cils, ils s’élancèrent. Tandis que Ragnar franchissait le cercle, les trois autres se dressèrent devant les gardes, lames en main, déterminés à défendre l’honneur de leur père contre un code devenu cadavre. Ragnar entra dans l’arène alors que le temps semblait suspendu.

Hardalson, perdu dans son triomphe imminent, laissait lentement sa lame s’élever. Son souffle haletait. Il s’apprêtait à tuer un homme qu’il respectait, non pas de sang-froid, mais par devoir. Il n’entendit pas les pas derrière lui. Il ne vit pas la silhouette fondre comme une ombre entre les bougies du cercle. Ragnar leva sa hache dans un silence de mort, sans faire le moindre bruit et dans le dos de sa cible, il fini par l'abattre d'un éclat dans un éclat d’acier et de givre.

La tête d’Hardalson roula sur la neige. Son corps resta debout un instant, comme figé dans l’étonnement, avant de s’effondrer, inerte. Hurl, les yeux ouverts, vit la scène. Il vit son fils, debout, haletant, les yeux remplis de larmes et de feu. Il comprit, à cet instant, que l’ancien monde venait de s’éteindre. Qu’un nouveau venait de naître.

Hurl, agenouillé dans la neige encore chaude du sang d’Hardalson, sentit sa respiration revenir lentement, douloureusement. Il leva les yeux vers ses fils. Ses yeux croisèrent ceux de Ragnar, encore hantés par le geste qu’il venait de poser, et il comprit… Il comprit tout. Il posa une main tremblante sur la hache tombée à ses pieds, puis planta son regard dans celui de chacun de ses enfants, un par un, comme s’il gravait leurs visages dans sa chair.

« Je vous ai élevés pour être des hommes libres… et ce soir, vous m’avez prouvé que je ne me suis pas trompé. »

Il se releva lentement, appuyé sur un genou, le sang coulant encore de ses blessures, et poursuivit, d’une voix rauque mais ferme :

« Ce monde… celui des coutumes, des duels, de l’honneur aveugle… il est mort ce soir. Vous l’avez tué, et je ne vous en blâme pas. Vous avez écouté votre cœur, là où moi je n’entendais que la voix des anciens. Vous m’avez sauvé… mais surtout, vous avez sauvé notre peuple de cette malediction.»

Le silence tomba. Le vent soufflait doucement sur le pic hurlant, emportant les derniers lambeaux de l’ancien code.

« À partir de ce jour, notre clan ne sera plus dirigé par le fer, ni par le sang. Il sera dirigé par l’unité. Par la fraternité et par la bienveillance. »

Il se retourna vers le cercle, observa les corps, le sang, la neige, les visages médusés des témoins.

Et dans ce moment suspendu, au milieu du cercle brisé, quelque chose venait de naître : une rupture dans les coutumes, un affront aux traditions, mais aussi un acte de loyauté si farouche qu’il en devenait sacré. La montagne venait d’assister non pas à la chute d’un chef, mais à la naissance d’une légende.Cette nuit marqua la fin d’un âge. Ce fut l’instant où, pour la première fois dans l’histoire de Barf, un fils s’interposa non pour prendre le trône, mais pour protéger l’homme qui l’occupait. Ce fut la naissance de la Marche Glaciale, le début d’une ère où les liens du sang prévalurent sur ceux du fer. Et dans la neige rougie, sous les étoiles froides du Nord, un père regarda ses fils… et pleura. Non de honte. Mais de fierté.


La marche glaciale

Hurl savait. Avant même que les premières torches n’apparaissent à l’horizon, il savait. Ils avaient brisé les lois de Barf, non pas les lois écrites, mais celles gravées dans les coeurs, dans la neige, dans le sang. Et ce crime, le Jarl Ube, souverain des monts du nord et cousin du défunt Hardalson, ne le pardonnerait jamais. Il ne viendrait pas pour parlementer. Il ne viendrait pas pour défier. Il viendrait pour raser. Pour effacer jusqu’au nom du clan d’Hurl.

Alors, dans le fracas du destin qui se levait sur eux, Hurl et ses quatre fils prirent une décision qui allait bouleverser à jamais le royaume de Barf. Si leur sort était déjà scellé, alors ils en changeraient l’écriture. Plutôt que d’attendre l’exécution, ils brandiraient eux-mêmes la lame. Plutôt que de mourir en traîtres, ils vivraient en briseurs de chaînes. Ils avaient decidé de marcher eux meme vers les clans les plus proche pour les ralier à leurs cause. Ils ne seraient plus un clan ennemi... mais une main tendu. Un feu qui brûlerait de village en village, portant avec lui un souffle nouveau.

Et pour la première fois dans l’histoire gelée de Barf, non pas un homme, mais cinq marchèrent à la tête de cent guerriers. Quatres frères unis par l’amour d’un père. Cinq guerriers nés dans le sang, mais forgés dans la fidélité. La force de cette alliance fut sans précédente, alors que que Barf chaque clan n'est guidé que par un seul homme, l'union de cinq guerrier d'elite fut pour la premiere fois une révolution et leurs permis d'avoir un avantage certains sur les premiers clans rencontré.

Chaque village devint un carrefour de destin. Ceux qui les rejoignaient embrassaient un espoir nouveau. Ceux qui hésitaient se retrouvaient souvent emportés par le flot inarrêtable de leur marche. Et ceux qui s’y opposaient, fidèles au Jarl Ube fuyait avant meme leurs arrivé. Car cette alliance, était une anomalie dans ce monde de glace. Une anomalie si puissante qu’aucune lame, aucun sort, aucune armée ne parvenait à l’arrêter. Chacun des fils d’Hurl était un chef, un champion, un frère. Et à chaque village conquis, leur légende s’étendait comme une traînée de feu sur la carte de Barf.

Très vite, ce qui n’était qu’un cri isolé devint une clameur. Ce qui n’était qu’un clan en rébellion devint une marée. La révolte d’Hurl et de ses fils s’étendait de plus en plus. Là où les peuples de Barf avaient vécu pendant des siècles dans un équilibre précaire de rixes, de duels et d’honneurs versés dans le sang, un souffle nouveau venait frapper à leurs portes. Et plus Hurl avançait, plus les résistances fondaient. Des clans qui, autrefois, n’auraient jamais fléchi le genou, ouvraient aujourd’hui leurs portes d’eux-mêmes, conquis non par la peur, mais par l’espoir. Un à un, les bastions de l’ancien monde tombaient. Non dans la ruine, mais dans la promesse d’un avenir différent. Un avenir sans père assassiné. Sans frère trahi. Sans héritage taché de haine.

Ce n’était plus une marche. C’était un soulèvement.

La Marche Glaciale avait commencé.

Mais dans les hauteurs glacées du nord, dans la forteresse millénaire de Givrebois, le vieux lion n’avait pas fermé l’œil. Le Jarl Ube, maître de Barf, se tenait droit. Son regard n’exprimait ni peur, ni colère. Seulement une attention extrême. Car lui comprenait : ce soulèvement n’était pas un tumulte de plus. C’était une fracture. Une lame enfoncée dans le cœur même du royaume. Et pourtant, il ne paniqua pas. Il ne frappa pas à l’aveugle.

Il laissa Hurl avancer. Laissa les fils prendre ville après ville. Il concéda des terres, des clans entiers, comme on recule sur un plateau pour mieux encercler. Car lui aussi bâtissait une armée, mais pas de chairs et de cœurs. Il bâtissait une forteresse vivante. Il rappela à lui les champions oubliés, les exilés, les chefs de clans les plus conservateurs et fidèles. Ceux pour qui l’honneur ne signifiait que le sang versé. Ceux pour qui le monde ne pouvait exister sans la hiérarchie des lames. Et ils vinrent. Du nord, du nord-est, des landes d’écume et des ravins où seuls les fous osaient vivre. Tous répondirent à son appel, car ils voyaient en Hurl la fin de tout ce qu’ils avaient juré de protéger.

Ainsi se dressa la Garde d’Hiver. Une armée silencieuse, taillée dans la glace et la foi. Pendant que la révolte chantait l’aube d’un monde neuf, Ube forgeait la nuit d’une résistance absolue. Et au centre de cette tempête naissante. Les deux camps se préparaient pour l'ultime affrontement qui deciderai de l'avenir de leurs peuple.

Ube organisa une rencontre entre les différents chefs de clan qui lui était encore fidèle à Givrebois.
Dans la salle du conseil, tout était figé, Autour de la table de pierre, les chefs attendaient, immobiles, comme des statues. Et debout devant le trône de givre, drapé dans fourrure, le Jarl Ube les regardait. Ses yeux, d’un acier pâle, glissaient d’un visage à l’autre sans émotion apparente. Puis il parla.

— « Hurl a réveillé les tambours de l’ancien monde. »

Le silence se fit plus pesant encore.

— « Il marche sur nos terres, avec ses fils, ses idées... Il ne se contente pas de frapper. Il sème un doute. Il parle d’un nouveau Barf, sans duels, sans traditions. D'un monde ou nous pourrons tous vivre en paix et ou le sang ne coulera plus.»

Ube se tourna lentement vers ses généraux.

— « Il ne conquiert pas. Il convainc. Et cela, mes frères... cela est plus dangereux que n’importe quelle lame. »

Le vieux Skarn, maître des cavaliers de glace, serra les dents et frappa la table du poing.

— « Alors frappons ce traitre ! Tranchons cette racine pourrie avant qu’elle ne gangrène tout l’arbre. Ses fils ont tué Hardalson pendant le duel comme des laches ! Pour l’honneur de votre cousin il doit etre puni ! »

Mais d’un simple geste de la main, Ube fit retomber le silence.

— « Non. Hurl n’est pas un traître. Pas tout à fait. Il n’est pas avide. Il ne cherche pas un trône, il cherche à changer le monde. Et c’est là, justement, qu’il est le plus dangereux. »

Une pause. Légère. Et puis :

— « Et c’est aussi pour cela... que je le respecte. »

Des regards se croisèrent. Certains, surpris. D’autres inquiets.

— « Je l’ai vu grandir. Je l’ai vu survivre à des hivers qui dévorent même les plus solides. Je sais ce qu’il a dû renier pour ne pas transmettre la haine. Hurl est un homme... un homme bon. »

Il baissa la voix.

— « Mais parfois, ce sont ces hommes qui abattent les royaumes. Parce qu’ils pensent que leur amour suffit. »

Il s’assit alors. Lentement. Comme si ses os portaient le poids de toutes les générations mortes.

— « Ce n’est pas pour une terre que nous nous battons. Ce n’est pas pour un nom. C’est pour le bien de notre royaume, pour la paix de notre peuple, pour la Loi des Ancêtres. L’Épreuve. Le Devoir. Le sacrifice ! Si nous cédons cela, nous ne sommes plus que des bêtes. »

Son regard se perdit dans les flammes pâles du brasero. Et sa voix, plus basse mais plus tranchante, résonna :

— « Rassemblez les bannières et allumez les torches de guerre.Givrebois sera son tombeau. »

 

Le poids du dernier hiver

Alors qu’Hurl poursuivait sa marche à travers les terres de Barf, une étrange lassitude gagnait son cœur. Il avait cru, au début, qu’il lui faudrait livrer batailles sur batailles. Il s’était préparé à briser des murailles, à renverser des remparts de glace. Mais plus il avançait, plus il comprenait la nature du silence qui l’entourait. Les villages qu’il traversait semblaient abandonnés. Il n’y avait pas de résistance, pas même un chef de guerre pour tenir les anciennes places fortes. Ce n’était pas seulement une tactique : c’était un exode. Ube rassemblait toutes les forces dans son bastion. Et cela, pour Hurl, sonnait comme un présage. La victoire s’ouvrait devant lui, nue et froide. Et pourtant, à chaque pas, quelque chose en lui se fissurait.

Il voyait dans les yeux de ses guerriers la flamme d’une guerre sainte. Il entendait les chants de victoire monter. Mais lui… lui sentait son cœur se contracter, tiraillé entre fierté et chagrin. Il n’était pas né pour être conquérant. Il n’avait jamais voulu voir les familles divisées, les fils contre les pères, le feu des maisons remplacé par la cendre des champs de batailles. Chaque pas vers Givrebois était un pas de plus vers une tragédie.

Et pourtant, il marchait.

Parce qu’au fond, il espérait encore. Espérait que le Jarl Ube, dans sa sagesse, verrait ce que lui voyait : que le monde avait changé. Que trop d’hommes étaient morts au nom de coutumes sans interets. Mais du haut de sa forteresse, Ube observait lui aussi. Il comprenait Hurl. Peut-être mieux que quiconque. Il comprenait la souffrance de l’enfant battu, devenu père à son tour. Il voyait l’homme, l’héritier brisé, le bâtisseur de paix. Mais Ube connaissait aussi le danger de la liberté sans racines. Barf n’était pas une terre douce. C’était un royaume sculpté dans le froid et la violence. Son peuple était fait de glace. Sans traditions, sans règles anciennes, Barf tomberait dans le chaos. Les clans se déchireraient. Le royaume perdrait son âme. Alors, même s’il respectait Hurl, même s’il aurait aimé l’écouter, il ne pouvait pas céder par devoir pour son peuple.

Et ainsi, deux hommes de sagesse, deux hommes d’honneur, se retrouvaient chacun à l’extrémité d’un champ de guerre qu’ils n’avaient pas voulu tracer.

L’un portait l’espérance.
L’autre, la mémoire.

Et ni l’un ni l’autre ne voulait faire le premier pas vers la réconciliation.
Parce que dans un monde comme Barf, baisser les armes peut être plus dangereux que les lever.

L'armée de la marche Glaciale fini par arriver à Givrebois, Adossée à une falaise haute comme le ciel, taillée dans la roche ancienne des montagnes, la citadelle de Givrebois s’élevait comme un mur. Un bastion de glace et de pierre, blanc comme les cendres du monde ancien, d’où l’on pouvait contempler les plaines battues par les vents du Nord. Ses murailles n’étaient pas décorées de bannières, mais de symboles gravés : la hache des ancêtres, l’épreuve du sang, l’œil du loup.On racontait que Givrebois avait été sculptée par les géants.

Lorsque Hurl arriva au pied de la citadelle, il n’était plus seul.

Derrière lui s’étendait une mer de visages — des milliers d’hommes et de femmes venus des confins de Barf. Tous autrefois ennemis, aujourd’hui unis sous un même chant. Non pas celui de la guerre, mais celui de la fin d’une ère. L'ère des duels. L'ère du sang pour l'honneur. L'ère des pères contre les fils.

Et pourtant, face à eux, Givrebois restait immobile. Muette. Fière.

Ube avait demandé des pourparlé. Il ne voulait pas d’une guerre sans parole.

À sa demande, une tente fut dressée entre les deux camps, au pied de la falaise. Aucun garde à l’intérieur. Aucun témoin. Juste deux hommes, deux chefs, deux visions du monde.

Hurl entra le premier, le regard dur mais le cœur lourd.
Ube était déjà là, assis sur un simple tabouret de bois, loin de son trône de glace.

Ils restèrent un instant à se regarder, sans un mot.

Puis Ube se leva.

— « Tu as bien grandi, Hurl. Tu es devenu ce que ton père n’a jamais su être. »

Hurl ne répondit pas tout de suite. Il s’assit en face.

— « Et toi, tu es devenu ce que le monde n’a plus besoin. »

Un silence. Puis Ube hocha lentement la tête.

— « Tu n’es pas venu pour négocier. »

— « Je suis venu pour que les miens puissent vivre sans devoir tuer leur père. Pour qu’on puisse transmettre autre chose que la haine. »

— « Et moi, je suis resté ici pour que Barf ne devienne pas un feu sans foyer. Sans loi. »

Hurl resta un moment silencieux. Ses mains étaient jointes devant lui, ses doigts rugueux frottant machinalement la cicatrice qui barrait sa paume droite, souvenir d’un hiver lointain, d’un père furieux, d’un feu mal allumé.

Puis il se redressa, et sa voix, se déploya comme un vent lourd de souvenirs :

— « Tu sais, Ube… pendant longtemps, j’ai cru que la douleur, la haine et la colère étaient la normalité dans ce monde. »

Ses yeux ne fixaient plus son interlocuteur, mais quelque chose bien plus loin. Quelque chose dans le passé.

— « Mon père me réveillait à l’aube avec des coups de botte dans les côtes. Il me faisait creuser des tombes dans le givre, porter des rondins trois fois trop lourds pour mon âge, et si je pleurais… il riait. Il disait que ça forgerait mon caractère. Que c’était comme ça qu’on devient un homme. »

Il marqua une pause, le souffle un peu court.

— « La première fois qu’il m’a dit "bien joué", j’avais douze ans. Je venais d’enfoncer une hache dans le crâne d’un prisonnier. Un vieux. Trop faible pour se battre. »

Il baissa les yeux. La honte, pourtant ancienne, sembla encore peser sur ses épaules.

— « Ce jour-là, j’ai été félicité pour avoir tué un vieillard sans défense Voilà ce que Barf m’a appris. Voilà ce que nos traditions m’ont appris. »

Il releva la tête. Et cette fois, ses yeux étaient humides.

— « Alors j’ai juré. Devant les pierres de ma mère. Devant les flocons qui l’ont recouverte. J’ai juré que jamais je n'aurai d'enfants. »

Il sourit, triste, mais fier.

— « Et Rin est venue. Elle avait ce regard… ce rire qu’aucun hiver ne pouvait geler. Elle a mis du feu dans mes os, de la lumière dans mes nuits. Elle m’a appris qu’on pouvait aimer sans punir. Et ensemble, on a eu nos quatre fils. »

Un silence.

— « Ragnar, mon aîné. Il n’a jamais levé la main sur ses frères. Jamais. Il aurait pu me défier et m'aurait surement vaincu. Mais il a préféré me soutenir. Parce que je l’ai élevé dans l’amour, pas dans la crainte. »

Il inspira longuement.

— « Ce monde, Ube, ce monde veut que nos fils deviennent des loups. Mais moi, je leur ai appris qu’ils pouvaient être des arbres. Solides. Paisibles. Et protecteurs. »

Il frappa la table de son poing.

— « Pourquoi faudrait-il qu’ils tuent pour exister ? Pourquoi faudrait-il que leur nom soit gravé dans le sang pour être respecté ? Barf dit que c’est l’ordre des choses. Moi je dis que c’est une malédiction. »

Ube ne répondit pas tout de suite.

Il observa longuement Hurl, comme s’il regardait non pas un rival, mais un fils perdu, un fragment de ce qu’il aurait pu être dans un autre monde.

Puis il parla, d’une voix grave, lente, lourde comme une cloche d’hiver.

— « C’est beau, ce que tu dis, Hurl. »

Un silence.

— « Et c’est terrible. »

Il tourna les yeux vers la grande carte du royaume accrochée au mur, ses doigts calleux effleurant les reliefs de bois sculpté.

— « Tu veux faire de nos fils des arbres. Mais moi, je les ai vus naître loups. Les montagnes de Barf enfantent des crocs, pas des racines. »

Son regard revint à Hurl, plus dur.

— « Nous sommes nés dans la glace, dans le tumulte, dans la guerre. Chaque clan de Barf est bâti sur une douleur. Chaque pierre que nous posons est un cri étouffé, un sacrifice accepté. Ce n’est pas par goût du sang. C’est parce que sans cela… nous disparaîtrions. »

Il s’avança.

— « Tu veux donner l’amour à nos fils. Moi, j’essaie de leur donner un royaume. »

Il marqua une pause, les mâchoires serrées.

— « Hurl, tu parles d’avenir, de paix, de bonté… Mais tu oublies une chose. »

Il leva une main, tremblante mais droite.

— « Tu n’as jamais quitté Barf. Tu n’as jamais vu ce qu’il y a au-delà des montagnes, au-delà des brumes. Tu ne sais pas ce que les autres peuples pensent de nous. Moi, je le sais. Car j’ai vu leurs regards, j’ai entendu leurs moqueries, leurs peurs. »

Il s’approcha encore. Cette fois, il parlait d’homme à homme.

— « Ils ne nous respectent pas parce que nous sommes bons. Ils nous respectent parce que nous sommes féroces. Parce que nous sommes un rempart, un avertissement. Si tu retires la hache de Barf, Hurl, tu verras combien il est facile d’ouvrir notre cœur à la lame d’un autre. »

Ses yeux se firent plus tristes.

— « Le jour où notre nom ne fera plus trembler, il ne restera rien de ce que tu espères offrir à tes fils. Les vautours du Sud s’abattront sur nos plaines. Les marchands de l’Est nous achèteront par la soif. Et pire encore, nos voisins du Nord écraseront nos villages comme des flocons sous des bottes d’acier... tu ne connais rien de ce monde et je te garantie que tu préférerai ne pas savoir. »

Un dernier silence, plus lourd que tous les précédents.

— « Ce que tu appelles traditions, Hurl… ce sont nos fondations. Et si tu les brises… même l’amour ne suffira pas à empêcher, le chaos, l’effondrement. »

Il reposa ses mains sur la table, le dos courbé, usé mais digne.

— « Moi aussi j’ai des fils. Moi aussi j’ai eu peur. Mais un roi ne prépare pas le monde à ses enfants. Il prépare ses enfants au monde. »

Il planta enfin son regard dans celui d’Hurl.

— « Tu veux la paix. Mais as-tu seulement vu le monde ? Le monde ne veut pas de paix. Et il ne pardonne pas les faibles. »

Le silence qui suivit les mots d’Ube fut aussi tranchant qu’un vent de givre. Aucun des deux hommes ne détourna le regard. Leurs volontés se heurtaient comme deux montagnes, inébranlables, éternelles, vouées à entrer en collision.

Hurl fut le premier à rompre le silence, mais sa voix n’était plus celle du chef de guerre. Elle était fatiguée, chargée de chagrin.

— « Tu penses me protéger en me disant ce que je ne sais pas. Ce que je ne comprends pas. Tu dis que je ne connais pas le monde, mais je connais la souffrance. Et je connais la haine qu’elle engendre quand on la sert au petit matin à un enfant qui n’a rien demandé. »

Il posa ses mains à plat sur la table entre eux, les yeux humides mais sans trembler.

— « Tu me parles de fondations, Ube… Mais il n’y a plus rien sous nos pieds. Ce royaume se tient sur les os de ses propres fils. Les traditions que tu vénères sont des chaînes rouillées qu’on transmet comme des héritages sacrés. Je refuse de condamner mes enfants à répéter l’histoire de leurs pères. Je prefere encore bruler ce monde que de continuer à vivre ainsi ! »

Il leva les yeux vers Ube

— « Peut-être que je suis un fou. Peut-être que mes rêves sont ceux d’un homme naïf, bercé par l’amour d’une femme trop tendre et le rire de ses fils. Peut-être que ce monde, comme tu dis, ne pardonne pas. »

Il posa sa main mutilée sur la table, les doigts crispés contre le bois.

— « Mais si tout cela est vrai… alors je préfère tomber avec mes rêves que de me tenir debout dans un monde où mes fils doivent se haïr pour être des hommes. »

Ube serra les dents. Il comprenait ce qu’Hurl sous entendait.

Alors, dans un ultime geste de sagesse, d’une voix presque fatiguée :

— « Écoute-moi, Hurl. Je ne suis pas ton ennemi. Ce que tu proposes… peut-être qu’un jour, nous y viendrons. Peut-être que les enfants de nos enfants verront cette paix, et y grandiront. Mais pas aujourd’hui. »

Il soupira, longuement.

— « Tu es en train d’arracher les murs de Barf. Tu ne bâtis pas un monde meilleur, tu ouvres une brèche. Et les ombres y entreront. »

Le silence était si total qu’on aurait cru le vent lui-même figé d’appréhension.

— « Je te propose une trêve. Replie ton armée. Reviens au Conseil. Je te donne une place. Une vraie. Nous discuterons. Nous changerons. Lentement, mais ensemble. »

Ube tendit sa main.

— « Rejoins-moi, Hurl. Fais-le pour eux. Pour qu’ils aient un père, vivant. »

La main restait là, suspendue, ouverte. Un instant, un souffle, un battement de cœur, on crut qu’Hurl allait la prendre.

Mais il secoua la tête. Doucement.

— « Si je fais ça, Jarl… alors je leur apprends que leurs rêves peuvent être achetés. Que la peur suffit à éteindre la flamme. »

Il se leva de la table.

— « Je te respect comme un frère, Ube. Mais je n’ai pas marché tout ce chemin pour m’asseoir. J’ai vu trop de lumière dans les yeux de ces hommes et femmes qui attendent dehors pour les replonger dans la nuit. »

Hurl reprit, la voix plus ferme.

— « J’ai tant espéré, Jarl. Que cette rencontre soit notre salut. Que deux hommes fatigués puissent ouvrir une brèche dans le destin. Mais je vois maintenant que tu es le dernier mur de cette forteresse. Et moi… je suis l’eau qui monte. »

Ube répondit enfin, d’un ton calme, résigné.

— « Et moi, j’ai espéré que tu céderais. Que tu comprendrais. Mais j’entends dans ta voix la détermination d'un ours, rien ne pourra t'arreter je l'ai bien compris aujourd'hui ... meme un Khoda qui apparaitrai en ouvrant le ciel en deux ne te fera pas changer d'avis. »

Hurl ne compris pas de quoi il parlait mais ne le questionna pas.

Ube inspira profondément.

— « Alors le prochain mot ne viendra pas de nous, » conclut-il. « Il viendra du fer. »

Hurl baissa les yeux. Puis il murmura :

— « Alors que les larmes soient brisées. Et que la neige soit notre témoin. »

Sans un mot de plus, il quitta la salle. Et dans la nuit glacée de Givrebois, les tambours de guerre commencèrent à battre.



La tente des quatre frères

Le vent s’engouffrait dans les tentes. Dehors, les torches vacillaient sous la neige, les étendards claquaient, et l’air avait ce goût métallique que seuls les soirs de guerre savaient porter. Pourtant, sous la grande tente de peau tendue au centre du camp, ce n’était pas le tumulte qui régnait. C’était le silence. Épais. Presque sacré.

Les quatre fils d’Hurl s’étaient réunis comme ils le faisaient jadis, enfants, quand la tempête grondait sur les toits. Sauf que cette fois, ce n’était pas le froid qui les faisait trembler.

Bjorn était accroupi près du feu, les bras autour des genoux, le regard vide. Gurl passait nerveusement ses doigts sur le manche de son épée. Turl marchait d’un pas lent, en rond, dans un silence lourd. Ragnar, lui, était resté immobile, assis contre le mât central, les yeux fermés.

— « On voulait juste changer les choses, » finit par dire Bjorn, d’une voix presque brisée. « Rien de tout ça n’était censé arriver. »

Turl s’arrêta. Il soupira.

— « On a marché contre une tradition… pas contre tout un royaume. »

— « Et pourtant, regarde-nous, » murmura Gurl. « Nous voilà à la veille de briser Barf. À la veille d'une guerre contre notre propre peuple. »

Il n’y avait aucune rage dans leurs voix. Juste une fatigue immense. Une tristesse profonde.

— « Tu crois qu’on a eu tort ? Sommes-nous en train de briser Barf… ou de la sauver ?» demanda Bjorn.

Ragnar ouvrit les yeux. Il mit un long moment avant de répondre, comme si chaque mot devait être pesé.

— « Peut-être les deux. On a suivi ce qu’on pensait être juste. Pour lui. Pour nous. Mais jamais… jamais je n’ai voulu ça. »

Il leva les yeux.

— « Ce n’était pas censé finir avec des milliers de lames prêtes à trancher notre propre peuple. »

Gurl renifla, ravalant ses larmes.

Un long silence s’étira.

Ragnar se leva. Il avait les traits durs, mais les yeux brillants.

— « Je suis terrifié, » dit-il simplement. « Cette guerre sera la plus terrible de notre temps. Beaucoup vont mourir. Peut-être nous aussi. »

Il regarda ses frères, un à un.

— « Mais si demain est notre dernier lever de soleil, alors au moins qu’on meure en portant l’héritage que pere nous a donné. L’amour. Le choix. La liberté. »

Il tendit la main.

Un à un, ses frères vinrent poser la leur.

— « Pour père. » dit Gurl.

— « Pour Mère. » ajouta Bjorn.

— « Pour les enfants que nous étions… et pour ceux qui viendront. » murmura Turl.

— « Pour Barf… et ce qu’il pourrait devenir, » conclut Ragnar.

Dehors, le vent s’était arrêté. Comme si la nuit elle-même retenait son souffle.

Hurl entra doucement dans dans la tente quelques minutes plus tard sans faire de bruit.

Il les observa.

Ses fils.

Ses quatre raisons de vivre


Ragnar, calme comme une montagne avant l’avalanche. Bjorn, les poings serrés, les yeux embués. Turl, tourmenté mais digne. Et Gurl, le cœur battant plus fort que la guerre elle-même. Il compris qu’ils n’étaient plus les enfants qu’il avait bercés au coin du feu, mais des hommes prêts à affronter la mort pour défendre ce qu’il leur avait transmis. Il aurait dû se sentir fier. Il l’était, profondément. Mais ce n’était pas la fierté qui serrait sa gorge. C’était la peur.

Pas la peur de la guerre. Il avait vécu cent batailles. Ce qu’il craignait, c’était de les perdre. De les voir tomber comme tant d’autres avant eux. De voir leur sang teinter la neige qu’il avait foulée mille fois. De les voir s’éteindre pour un rêve qu’il avait forgé dans leurs coeur.

Il se rappela Rin. Sa voix douce, ses mains chaudes, son rire dans la nuit du Nord. Elle aurait su quoi dire, elle. Elle aurait calmé son cœur. Mais elle n’était pas là.

Puis Ragnar leva la tête. Il l’aperçut. Leurs regards se croisèrent.

Et dans les yeux du fils, Hurl vit tout : la peur. La force. Le doute. L’amour. Et surtout… la volonté de continuer.

Hurl ferma les yeux une seconde. Une seule. Lorsqu’il les rouvrit, ses pupilles brillaient d’une lueur nouvelle. Il fit le tour, posa une main sur chaque épaule, les yeux humides.

— « Si demain je tombe… ne bâtissez pas une statue. Bâtissez un monde meilleur. »

Et sans un mot de plus, il quitta la tente. Il n’avait plus rien à leur dire. Le reste appartenait à l’aube.


L’Aube de Givrebois

La nuit s'était étirée. Peu de guerrier avaient reussi à trouver le sommeil meme en étant habitué depuis toujours à se battre. Le ciel commençait à pâlir aux premières lueurs. Le vent, glacial, hurlait entre les pics, comme pour avertir les vivants que ce jour serait un jour de deuil.

Face à la citadelle de Givrebois, l’armée d’Hurl s’étendait telle une mer sombre ponctuée de torches et de bannières aux couleurs nouvelles. Ils étaient venus de tout Barf, des clans oubliés, des jeunes porteurs de révolte, des vétérans lassés de la haine, des guerriers en quete de paix. Tous unis par une idée. Tous portés par une même voix.

Et cette voix, c’était Hurl.

Il se tenait en première ligne, debout, les tempes blanchies par les années, les traits marqués par le poids du destin. À ses côtés, Ragnar, l’arme au poing, ses yeux brûlant d’un feu qu’il tentait de contenir. Derrière lui, Bjorn, Turl et Gurl, frères d’acier, frères de sang. Devant eux, Givrebois dressait ses murailles comme un défi aux dieux. Accrochée à la falaise, bâtie de pierre blanche et de givre éternel, la citadelle semblait plus ancienne que le royaume lui-même. Ses tours brillaient sous la lumière hivernale comme des lames levées vers le ciel. Les drapeaux d’Ube flottaient, rigides dans le vent. Et derrière ses murs, la garde d’élite attendait. Silencieuse.

Hurl fit un pas. Son regard balaya les hauteurs, les créneaux, les flèches tendues. Puis il ferma les yeux. Un instant.

Un souvenir. Le rire de Rin. Les jeux des enfants dans la neige. Les soirs paisibles où personne ne parlait de pouvoir. La chaleur d’un foyer construit de ses mains. Il aurait tout donné pour retrouver cela. Mais l’histoire, en avait décidé autrement.

Il rouvrit les yeux.

Le vent soufflait fort sur les rangs. Les guerriers attendaient, silencieux, la main crispée sur leur arme, le cœur battant contre leur poitrine comme un tambour de guerre. Ils attendaient un dernier mot d'Hurl pour les mener au combat.

Alors Hurl s’avança.

Il monta sur un rocher enneigé. Il regarda ces hommes venus de toutes parts. Il vit la peur dans leurs yeux. Il vit leur doute. Et il leur offrit sa vérité.

Sa voix s’éleva, forte, comme une flamme dans la nuit :

— « Mes frères. Mes sœurs. Nous ne sommes pas venus ici pour dominer. Nous ne sommes pas venus ici pour détruire. Nous sommes venus parce que nous refusons d’être les héritiers d’un monde qui nous a volé nos pères, nos mères, et nos enfances. »

Un silence sacré. Seule la neige osait encore tomber.

— « J’ai grandi dans le froid. J’ai été forgé dans la violence. Mon propre père m’a appris à haïr avant même de m’apprendre à marcher. Et j’ai cru, longtemps, que c’était là l’unique voie. »

Il marqua une pause. Son regard devint plus dur.

— « Mais ce jour, je vous le dis : nous pouvons être autre chose. Nous pouvons être plus que des loups qui se déchirent pour un trône de givre. Ce que nous bâtissons ici n’est pas une armée. C’est un avenir. »

Il se tourna vers ses fils, les yeux humides.

— « Je n’ai pas transmis à mes enfants la main qui frappe. Je leur ai transmis la main qui protège. Et c’est pour eux que je suis prêt à tomber aujourd’hui. Pour qu’un jour, plus jamais un enfant de Barf n’ait à lever l’arme contre son propre sang. »

Il leva son bras de givre vers le ciel.

— « Alors, si nous devons mourir, mourons debout. Non pas comme des monstres… mais comme les fondateurs d’un monde nouveau. En avant ! Pour Barf ! Pour nos fils et nos filles ! »

Ragnar leva sa lame au ciel.

— « Pour l’avenir ! »

Et le sol mit à trembler. Toute l'armée se mit à crier à l'unission.


— « Pour l’avenir ! Pour l’avenir ! Pour l’avenir ! »

La horde se mit à hurler, à rugir. Des centaines, puis des milliers de voix s’élevèrent en un même cri, comme un peuple entier qui refusait de mourir sans avoir tenté de changer son destin.

Les cornes de guerre résonnèrent.

Et la bataille de Givrebois commença.

 

L'assaut

Hurl prit directement la tete de son armée, il semblait decidé à en finir pour de bon rapidement pour que la bataille ne s'éternise pas.

« Ragnar. »

— « Père. »

— « Tu mèneras l’assaut avec tes frères à l'ouest. Prenez la porte. Je marcherai avec la colonne centrale. »

Ragnar acquiesça, les mâchoires crispées.

— « Ils nous attendent. »

— « Je le sais. »

Sur les remparts, Ube regardait. Il vit l’armée s’ébranler. Il vit les fils d’Hurl courir dans la neige. Il vit les tambours résonner dans la montagne.

À ses côtés, Skarn serra sa lance.

— « Ils viennent. »

Ube hocha lentement la tête.

— « Oui. Et ce jour, les loups s’égorgeront entre eux. »

Il se tourna vers ses hommes. Il ne cria pas. Il ne hurla pas. Il dit simplement :

— « Tenez les portes. Tenez les lignes. Tenez l’idée de Barf, jusqu’au dernier souffle. »

Ragnar et ses frères saluèrent leur père d’un hochement de tête.
Pas un mot. Seuls des regards.
Et puis, chacun prit sa route — vers le flanc ouest, là où la muraille était moins haute, plus vulnérable. Là où la véritable percée devait naître.
Hurl, quant à lui, ne bougea pas. Il observa ses fils disparaître dans le brouillard du matin. Puis, il tira sa hache du sol gelé, la fit tourner sur son épaule… et avança.

L’armée centrale le suivit, sans un cri.
Ils n’avaient pas besoin de rugir.
Ils avaient Hurl.

Celui qui avait vaincu Hardalson. Celui qui avait levé une armée sur des ruines. Il n’était pas un roi. Il était comme un père pour eux. Et pour ses fils, il allait déchirer les cieux.

Et puis les premières balistes hurlèrent.

Des éclats de bois et d’os explosèrent dans l’air gelé, fauchant des dizaines de guerriers dans un fracas brutal. Les cris s’élevèrent, les rangs vacillèrent… mais pas Hurl. Il levait son bras de givre, comme pour défier les dieux eux-mêmes, et avançait, implacable. À chaque pas, il semblait aspirer le courage de ceux qui le suivaient, leur donner la force de ne pas s’effondrer.

Des éclairs de magie frappaient depuis les remparts, les mages de Givrebois déchaînaient l’hiver. Des lances de glace fondaient sur l’armée rebelle, des vents hurlants balayaient les lignes, des vagues d’énergie gelaient les boucliers dans les mains des vivants… mais rien n’arrêtait l’avancée. Une volonté unique, une marée de chair et de fer unie par le rêve d’un autre Barf.

Et plus ils s’approchaient, plus leurs pas s’accéléraient. Du silence, on passa au cri de guerre. Les tambours résonnaient. Les projectiles magiques, enfin, répondirent. Depuis les lignes de Hurl, les sorciers loyaux à sa cause lancèrent des vagues d’éclairs, de givre et de feu contre les murailles. Le ciel s’enflamma de couleurs, comme si les étoiles elles-mêmes participaient à la guerre.

Alors Hurl s’arrêta.

Il leva son bras de givre, ce membre d’acier magique forgé après la perte de son bras sur un ancien champ de duel. Un murmure traversa les rangs. Tous savaient ce qui allait suivre.

Il ferma les yeux.

Puis, dans un cri sourd, il abattit sa main vers le sol.

Une lumière bleutée fendit les nuages, une déchirure verticale dans le ciel, aussi brève que terrible. Durant une fraction de seconde, les cieux se brisèrent, laissant passer un rayon de soleil pur au travers de la tempête. Et alors, la magie jaillit.

Un rayon d’énergie glaciale, concentré, hurlant comme mille loups, s’échappa de son bras et frappa les remparts. Une explosion titanesque dévora la pierre et la chair. Une partie entière de la défense nord fut balayée, transformée en un nuage de givre, de cendres et de cris.

Les soldats de Givrebois reculèrent, tétanisés. Si Hurl frappait encore une fois ainsi… la citadelle tomberait.

Du haut de la forteresse, Ube, resté jusqu’alors immobile comme une statue d’hiver, serra les accoudoirs de son trône de glace. Il savait. Le mur allait céder. L’histoire était en train de pencher.

— « Assez. » dit-il d’une voix grave, avant de se tourner vers son bras droit.

Skarn.

Le vieux maître des cavaliers de glace, le Briseur de Crocs, le Guerrier aux mille cicatrices. Il se leva lentement, enfila sa grande cape de fourrure, saisit son marteau noir et descendit les marches sans un mot.Il ne craignait pas Hurl. Il venait pour l’éteindre.

Quelques minutes apres l'assaut d'Hurl, son armée essayait de prendre les murs de la citadelle, Puis, les grandes portes s’ouvrirent lentement, dans un gémissement de bois et de métal. Des chaînes cliquetèrent, les verrous se déboîtèrent, et un cri de corne fusa depuis les remparts.

La neige cessa un instant de tomber, comme figée.

Un homme franchit la porte.

Non... un monument.

Skarn.

Les portes se refermèrent derriere lui.

Il portait une armure noir, gravée de runes invisibles qui s’illuminaient à mesure qu’il avançait.
À sa ceinture, deux épées croisées :
l’Honneur et le Silence, des lames forgées dans le cœur d’un glacier, capables de fendre la pierre. Sa barbe, tressée de chaînes d’argent, oscillait dans le vent, et sa voix roula comme un tonnerre au fond des montagnes.

— « Tu viens frapper à une porte que même les Dieux ont appris à contourner, Hurl. »
Il s'arrêta à une dizaine de pas.
— « Tu aurais pu mourir en paix, dans ton village, entouré de tes fils. Mais à présent... tu vas mourir ici, dans la neige, au pied de ton rêve. »

Hurl ne répondit pas.

Ses guerriers s’agitaient, tendus comme des arcs prêts à rompre. Mais lui ne bronchait pas.
Il observait Skarn comme un chasseur observe un ancien prédateur, avec respect.

— « Je ne suis pas venu pour mourir, Skarn, » dit-il enfin, d’une voix claire.

Skarn sourit, sinistre.

— « Tu veux briser Barf, avec des mots doux et une armée d’orphelins en colère ? Tu veux faire de loups des agneaux ? Tu veux remplacer la loi par l’espoir ? Tu ne comprends rien. Nous sommes les fils du gel. Ce qui pousse ici, pousse dans la violence. Ce qui tient, tient par la peur. Ce n’est pas une honte. C’est un fait. »

Hurl rit et fit un pas en avant.

— « Tu parles comme mon père. Comme tous ceux qui m’ont brisé avant. Je ne veux pas détruire Barf. Je veux l’élever. »

Il frappa le sol du poing.

Un cercle de givre explosa sous ses pieds, fendant la glace comme une onde de choc. La terre trembla. Les guerriers reculèrent, les chevaux hennirent de panique.

Et alors, tout bascula.

Au meme moment, à l’ouest de la citadelle, un autre front grondait. Ragnar, flanqué de ses trois frères, Bjorn, Turl et Gurl, menait un assaut fulgurant sur la porte secondaire de Givrebois, moins imposante que la principale, mais redoutablement protégée par sa position encaissée entre deux parois de roche et de glace.

Les premiers chocs furent violents. Les catapultes de fortune rugirent, les mages lancèrent leurs sorts, et la neige s’embrasa sous les déferlantes d’énergie. Les défenseurs sur les remparts, répondaient avec une rigueur implacable : flèches enflammées, lances de glace, orbes destructeurs. Les guerriers de Barf tombaient des deux côtés dans un chaos assourdissant. Et pourtant… malgré la violence des échanges, quelque chose clochait.

Ragnar, au cœur de la mêlée, perçut le déséquilibre. Les défenses n’étaient pas aussi resserrées qu’elles l’auraient dû. Il n’y avait pas de contre-assaut bien organisé, pas de vague de cavalerie de flanc comme le ferait un commandement d’élite. Il n’y avait même pas de renforts depuis les tours arrière. Et surtout… les mages, nombreux, semblaient canaliser leur énergie non pas pour tuer, mais pour retarder.

— « C’est trop facile, » souffla Bjorn à ses côtés, la hache ruisselante de sang. « Ils nous laissent entrer… »

— « Ce n’est pas un siège. C’est une invitation, » ajouta Turl, ses pupilles fixant la citadelle béante avec un mélange d’angoisse et de colère.

Mais Gurl, bien qu’épuisé, trancha net :
— « Alors on entre. C’est ce qu’on avait prévu. On suit le plan. »

La porte ouest finit par céder dans un hurlement d’enthousiasme. La brèche était faite. Les troupes de la rébellion s’engouffrèrent en rugissant dans les rues étroites et glacées de Givrebois, galvanisées par l’apparente victoire. Des chants éclatèrent, des larmes coulaient, certains pensaient que la guerre était déjà gagnée. Mais les quatre frères n’avaient pas le cœur à sourire. Ragnar jeta un dernier regard en arrière. Le ciel était encore marqué par l’éclair bleuté du bras de leur père. Il savait que là-bas, au centre du champ de bataille, Hurl donnait tout ce qu'il avait.

Et ici, à l’intérieur des murs… quelque chose d’autre les attendait.

— « En formation. Boucliers levés. Ralentissez. Avancez comme si les ombres elles-mêmes nous guettaient, » ordonna Ragnar, la voix grave.

Les frères se jetèrent un regard silencieux, lourd de ce lien ancien qu’aucune guerre ne pouvait briser.

Ils avaient pénétré dans le cœur glacé de Barf.

Et désormais, plus rien ne pouvait les faire reculer.

L'avenir de Barf se jouait à l'exterieur de Givrebois entre Hurl et Skarn et à l'interieur entre les freres et le mal qui les attendait... Fin partie 1.

 

MESSAGE

Merci à toutes celles et ceux qui ont lu cette histoire jusqu’au bout. J’aurais vraiment aimé la terminer aujourd’hui et poster l’intégralité, mais quelques contretemps m’ont ralenti. L’ultime partie, le véritable climax de l’histoire d’Hurl et de ses fils, arrivera la semaine prochaine — c’est promis, ahah !

Ce sera plus court que ce chapitre, car on touche enfin à la fin.
N’hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé de ce que vous avez lu, en commentaire ou sur le Discord. C’est l’article le plus long que j’ai écrit jusqu’ici, mais aussi, sans aucun doute, celui que j’ai préféré.

Il y a tant de choses que j’aurais aimé développer davantage : le personnage de Rin, la jeunesse du Jarl Ube, la personnalité de chaque fils d’Hurl, les grandes batailles de la Marche Glaciale... Il aurait presque fallu écrire un livre, ahah. Mais parfois, il faut aussi savoir aller à l’essentiel.

Dites-moi : selon vous, comment tout cela va-t-il se finir ?
Qui mourra ? Qui vaincra ? Le Jarl Ube a-t-il raison de craindre le monde au-delà des neiges de Barf ?

Rendez-vous la semaine prochaine pour le découvrir.

Star Safir

Commentaires

Rose 27/06/2025

C’était grave intéressant

Théo 26/06/2025

Waw !

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