Les Cornus
Shakit est né dans une famille modeste parmi les Hayula, dans les profondeurs obscures de Pahyn. Là, au cœur de cet univers souterrain, les Cornus, une race mystérieuse aux origines oubliées, forment une composante essentielle de la population Hayula. Leur histoire, effacée par les sables du temps, est aujourd’hui un enchevêtrement de mythes et de légendes. Certains prétendent que les Cornus pourraient être des descendants directs des Khoda, mais cette hypothèse repose plus sur des murmures incertains que sur des faits avérés. Les vérités concrètes se sont évaporées, laissant derrière elles des énigmes et des récits embrouillés par les âges.
Parmi les Hayula, les Cornus sont reconnus et respectés pour leur apparence qui incarne à elle seule la puissance brute et la robustesse. Leur nom même, « Cornus », provient des longues cornes qui surgissent de leur crâne, souvent courbées vers l’arrière ou dressées vers le ciel, comme des piques défiant les cieux souterrains. Ces cornes, tantôt lisses, tantôt striées, varient en taille et en forme selon les individus, certains Cornus arborant même des cornes supplémentaires sur les coudes, les épaules, ou d’autres parties de leur corps, ajoutant à leur allure imposante et redoutée. Leurs silhouettes, sculptées par des caractéristiques si distinctes, en font l'une des races les plus respectées et craintes des profondeurs de Pahyn.
Leur peau, d’un noir profond, parfois teintée de gris, semble aspirer la lumière, plongeant leurs traits dans l’obscurité la plus totale. Shakit, en particulier, possède une peau si noire qu’elle défie les ténèbres, rendant ses traits presque invisibles dans les ombres de Pahyn. Cette peau épaisse et rugueuse évoque le charbon ou l’argile compactée, comme si leurs corps avait été façonné par les mains mêmes de la terre. Chaque mouvement révèle une texture granuleuse, une sensation que leur chair a été sculptée dans la roche elle-même. Cette épaisseur confère aux Cornus une apparence de forteresse vivante, une armure naturelle qui semble alourdir leur stature, accentuant encore leur présence imposante et l’aura de puissance brute qu’ils dégagent.
La musculature des Cornus, naturellement imposante, est un autre aspect de leur force innée. Même sans entraînement, leur corps est sculpté par des muscles saillants et puissants, nés pour le combat et la survie dans des conditions extrêmes. Chaque Cornu porte en lui la robustesse d'un guerrier dès sa naissance. Leurs bras, leurs torses, et leurs jambes sont taillés pour le combat, prêts à affronter le monde souterrain. Parmi les Hayula, déjà réputés pour leur endurance et leur force, les Cornus se distinguent encore davantage par leur physique exceptionnel. Mais ce ne sont pas seulement leurs corps qui imposent le respect. Leurs yeux, d’un rouge ardent, d’un jaune lumineux, ou d’un orange incandescent, contrastent vivement avec la noirceur de leur peau. Ces iris flamboyants captivent immédiatement ceux qui croisent leur regard. Cette combinaison d'yeux flamboyants et de peau sombre confère aux Cornus un regard lourd de signification, comme s’il portait en eux le poids de leur histoire oubliée.
Dans le monde de Safir, les Cornus, ainsi que plusieurs autres races, sont appelés des « démons » en raison de leur ressemblance physique avec les créatures des contes et légendes de la surface. Cependant, bien que leur apparence soit intimidante, les Cornus ne sont pas intrinsèquement maléfiques. Ils sont aussi divers dans leurs comportements et leurs morales que n’importe quelle autre race. Leurs cornes, loin d’être un symbole de malveillance, sont plutôt perçues par eux comme une marque de force et de fierté, un héritage des temps anciens qui, bien que perdu dans l’oubli, continue de vivre à travers chaque membre de leur peuple.
Noyl
Shakit et sa famille vivaient à Noyl, une ville profondément enfoncée dans les entrailles de Pahyn, incarnation même des extrêmes de la misère et de la nécessité. C’est un lieu si sombre et désespéré que même les Hayula, habitués aux conditions de vie impitoyables du monde souterrain, hésitent à s’y installer. Pourtant, Noyl demeure un pilier essentiel pour Pahyn, en raison de sa proximité stratégique avec la capitale impériale située à la surface, juste au-dessus de ses vastes cavernes.
Noyl est une ville, où les nombreuses usines et forges tournent sans relâche, alimentées par les mines profondes qui l'entourent. Les matériaux extraits de ces entrailles de pierre servent à entretenir la capitale impériale et à produire les biens destinés à la surface. Pour les travailleurs de Noyl, ces usines sont des prisons de fer et de fumée, où ils sont exploités, leurs journées interminables ne leur offrant que peu de répit. Les forges, en particulier, sont réputées pour leur chaleur infernale, où le métal en fusion est martelé en formes utiles mais épuisantes. Malgré cela, Noyl reste un lieu où le travail est facilement accessible, un point d'ancrage pour ceux qui n'ont d'autre choix que de se plier à ces conditions impitoyables.
Les usines, les mines, et les forges de Noyl exigent une main-d’œuvre constante, même si les conditions de travail sont déplorables et les salaires dérisoires. Pour de nombreuses familles, ces emplois représentaient la seule source de revenus, mais aussi la principale cause de leur épuisement physique et mental. L’air de la ville est lourd, saturé de fumées et de poussières, les cheminées des usines crachant en permanence des volutes noires qui stagnent dans l’air épais, empêchant toute brise de circuler. Le ciel au-dessus de Noyl est perpétuellement obscurci par un voile de suie et de cendres, qui retombe parfois en une pluie noire, souillant tout sur son passage. Les bâtiments, faits de pierre brute et de métal rouillé, sont marqués par des décennies de pollution, leurs façades encrassées et défigurées par la crasse et les résidus industriels. Les rivières souterraines qui serpentent dans la ville sont si polluées que la vie aquatique y est presque inexistante, et l'eau est rendue impropre à la consommation. Toute la pollution de la capitale impériale est rejetée dans les sous-sols de Pahyn, et vient s’abattre directement sur Noyl, alourdissant encore davantage le fardeau des habitants. Divisée en plusieurs quartiers, tous aussi dégradés les uns que les autres. Les maisons, petites et exiguës, sont entassées les unes sur les autres, souvent construites à même la roche ou sur les vestiges d’anciennes galeries abandonnées. Les rues sont étroites, encombrées de débris, de détritus, et de gravats provenant des structures délabrées. Les rares lampes à huile et cristaux lumineux utilisés pour éclairer les ruelles projettent une lueur blafarde, incapable de dissiper l’obscurité omniprésente. L’humidité règne en maître, suintant des murs et des plafonds, rendant chaque espace confiné moite et malsain.
Les habitants de Noyl sont des gens résignés à leur sort, emprisonnés dans une existence qu’ils n’ont jamais choisi. La plupart n’ont jamais connu autre chose que cette ville, et leurs espoirs d’une vie meilleure se sont éteints depuis longtemps. La pauvreté omniprésente a créé une population endurcie, mais aussi faible. Les rues sont peuplées de travailleurs épuisés, de mendiants, de voyous et de jeunes enfants qui traînent sans but, cherchant à échapper à l’ennui et à la misère. Dans une ville comme Noyl, la criminalité est endémique. Les autorités locales, envoyées par les Khoda pour maintenir l'ordre dans Pahyn, sont corrompues jusqu’à la moelle. Elles ferment les yeux sur les activités illégales, tant qu’elles reçoivent leur part des profits. Les gangs règnent sur certains quartiers, et la loi du plus fort est la seule véritable règle. Le marché noir prospère, offrant des biens volés, des armes, et même des substances illicites à ceux qui en ont les moyens.
Les parents de Shakit faisaient partie de ces innombrables Hayula qui, jour après jour, luttaient pour maintenir un semblant de normalité dans un monde chaotique. Son père, aux cornes épaisses et à la carrure imposante, était un homme de peu de mots, mais d'une détermination sans faille. Il travaillait dans une usine à raffiner les pierres précieuses extraites des mines de Pahyn pour la surface. Chaque jour, il passait des heures interminables à extraire des minéraux rares et précieux, souvent sous des conditions inhumaines, étouffé par la chaleur des fourneaux et l'air saturé de poussières toxiques. Sa peau noire, dure, et ses muscles tendus témoignaient des années de travail acharné qu'il avait endurées pour nourrir sa famille. Ses mains, larges et calleuses, portaient les marques des outils qu'il maniait depuis tant de temps.
Sa mère, plus frêle en apparence mais tout aussi déterminée, gérait les affaires domestiques avec une précision militaire. Elle participait également aux échanges marchands dans le marché souterrain, un lieu où le troc était la principale monnaie d’échange. Là, parmi les étals branlants et les regards méfiants, elle négociait avec une habileté qui masquait à peine l'épuisement qui se lisait dans ses yeux. Son rôle, bien que moins physique que celui de son mari, n'était pas moins crucial ; elle assurait la survie quotidienne de la famille avec une force de caractère forgée par des années de privations. Shakit n’était pas le seul enfant. Il avait un frère et une sœur, tous deux plus jeunes que lui.
La vie de la famille de Shakit était une lutte incessante pour survivre. Les ressources étaient rares, et chaque jour apportait son lot de défis. Leurs vêtements étaient usés, leurs repas souvent très simple, mais ils tenaient bon, unis par un amour fort et une volonté farouche de protéger ce qu'ils avaient construit. Malgré les difficultés de la vie, les parents de Shakit s'efforçaient d'inculquer à leurs enfants des valeurs de persévérance et de solidarité. Ces valeurs, bien que parfois futiles face aux réalités impitoyables de Pahyn, étaient le fil ténu qui les maintenait tous ensemble. Bien que sa famille soit unie par les circonstances, Shakit ressentait souvent une distance émotionnelle entre lui et ses parents. Leurs vies étaient accaparées par la lutte pour la survie, et ils avaient peu de temps pour offrir l'affection ou l'attention dont Shakit avait tant besoin. Cette absence de chaleur familiale forgea en lui un caractère dur et indépendant, une armure émotionnelle qu'il portait pour se protéger. Il aimait sa famille, mais il sentait au fond de lui qu'il devait trouver sa propre voie, une voie qui pourrait l’emmener loin de cette existence monotone et suffocante.
La famille de Shakit, comme beaucoup d'autres, vivait dans une maison minuscule, où chaque espace était optimisé pour abriter le plus grand nombre, sans aucun confort. La vie quotidienne dans ce quartier était une épreuve pour les enfants, où même les plus jeunes apprenaient vite que la bonté pouvait être un luxe dangereux. Chaque matin, Shakit se réveillait au son des forges et des usines, ce grondement incessant qui rappelait à tous la dureté de leur existence. Il voyait son père partir pour son travail exténuant, le dos courbé sous le poids des ans et de la fatigue, tandis qu’il restait pour aider à la maison ou, plus tard, pour traîner dans les rues. Le quartier était vivant, mais d'une vie sombre, où l’espoir semblait avoir déserté les lieux. Les cris, les disputes, et parfois les bagarres faisaient partie du quotidien. Les enfants, bien que souvent gentils, étaient tous habités par une haine sourde, une violence latente dans leurs yeux et leurs gestes, qui les rendait bien plus matures que leur âge ne le laissait supposer. La dureté de la vie dans Noyl façonnait chaque enfant, forgeant en eux une carapace qui les rendait plus durs, plus impitoyables que n'importe quel autre Hayula.
À mesure que Shakit grandissait, la situation devenait de plus en plus difficile. Dans Noyl, la violence était un mode de vie, un outil de survie. Les gangs et les bandes de jeunes délinquants étaient omniprésents, et les altercations, qu'elles soient pour protéger un territoire, récupérer une dette ou simplement affirmer son pouvoir, étaient courantes. Shakit, grandissant dans cet environnement, comprit dès son enfance que pour être respecté, il fallait se battre, et se battre bien... de préférence accompagné de son équipe. Les conflits dans les rues de Noyl n’étaient pas seulement des batailles physiques, mais aussi psychologique, dans une société où chacun cherchait à prendre l’avantage sur l'autre en l'écrasant.
Attiré par ce monde où la force était la seule loi, Shakit se tourna rapidement vers d'autres jeunes comme lui qui étaient avide de pouvoir. Ces groupes, composés de garçons et de filles de son âge, offraient une forme d'appartenance qu'il ne trouvait pas chez lui. Ensemble, ils partageaient des histoires de vols réussis, de coups échappés de justesse, et de rivalités entre quartier qui animaient leur quotidien. Pour Shakit, rejoindre l'un de ces groupes était plus qu'un simple choix : c'était une nécessité, un moyen de s’affirmer, de se protéger, et de trouver une place dans un monde qui semblait l'avoir abandonné.
Il se mit alors à fréquenter de plus en plus une bande de jeunes surnommée "Les Singes de Noyl". Avec ses compagnons de rue, Shakit s'engagea dans de petits larcins, apprenant à voler dans les poches des passants, à escroquer les marchands, et à éviter les représailles des autorités locales. Ces actes, bien que mineurs, lui procurèrent une satisfaction immédiate, une illusion de contrôle dans une vie marquée par l'incertitude et la peur. Le goût du risque, mêlé à l’excitation du danger, devint rapidement une dépendance pour lui, un moyen d'échapper à la monotonie de son existence.
Les "Singes de Noyl" ne voyaient en l'avenir aucune issue positive. Ils vivaient dans l'instant, convaincus que la vie ne leur réservait rien de bon. Abandonnés par un monde qui les avait rejetés, ils n'avaient plus que cette vie sans lendemain, mais qui au moins leur donnait la sensation d’être vivants, même si c'était pour une courte durée. Pour eux, il était plus simple de gagner de l'argent rapidement, par des moyens douteux, que de suser le dos et les mains à l'usine ou à la forge du matin au soir, comme leurs parents. Ce choix, bien qu'amer, leur semblait être le seul moyen de s’affirmer dans un univers où l'espoir n'avait plus de place.
La guerre du marché
Après quelques années à avoir fait leurs armes dans les rues de leur quartier, la bande de Shakit nourrit un rêve simple mais audacieux : s'extirper de la misère en prenant le contrôle des activités criminelles les plus lucratives de la ville. Leur ambition les conduisit à viser haut : ils décidèrent de s'emparer du marché de Noyl, un lieu qui, malgré sa vétusté, était le cœur de la ville. C’était un point névralgique, où les habitants se rassemblaient non seulement pour échanger des biens et des services, mais aussi pour recueillir les dernières nouvelles, partager des rumeurs, et forger des alliances. Contrôler le marché signifiait bien plus que dominer les échanges commerciaux ; cela revenait à avoir la mainmise sur le flux d’informations, de ressources, et par extension, sur une part importante du pouvoir au sein de Noyl.
Le marché était un endroit bouillonnant de vie et de chaos. Les odeurs de nourriture, de métal chauffé et de sueur se mêlaient à l’atmosphère lourde de la caverne souterraine qui abritait cet espace. Les cris des vendeurs se disputaient avec les voix des acheteurs qui négociaient âprement, chacun cherchant à obtenir le meilleur prix. Au milieu de cette effervescence, Shakit et sa bande se frayaient un chemin, à l'affût de la moindre opportunité. Au départ, leurs activités se limitaient à des délits de bas étage : vols à la tire, petites extorsions auprès des commerçants les plus vulnérables, et escroqueries visant les âmes naïves ou les nouveaux venus en ville. Shakit, avec sa carrure imposante et son tempérament explosif, s’était rapidement imposé comme le leader du groupe. Il était celui que l’on envoyait en première ligne, que ce soit pour intimider ou corriger ceux qui ne se pliaient pas à leurs exigences. Son nom commençait à circuler parmi les ruelles et les étals. Mais le Cornu, malgré sa force brute, n’était pas encore conscient des véritables forces en jeu dans cette partie d'échecs qu'était le marché de Noyl.
Le marché n'était pas un terrain vierge d'autorité. Il était déjà sous la poigne de fer de Kurai, un vétéran des forces spéciales Gorg, envoyé par les Khoda pour maintenir la paix et l'ordre dans cette ville qu'il méprisait ouvertement. Pour Kurai, Noyl n'était qu'une décharge, un lieu indigne de son statut, mais il avait rapidement compris comment tirer profit de sa position. Plutôt que de servir la justice, il s’était installé comme un seigneur du crime, régnant sur le marché avec une autorité incontestée. Il n'était pas seulement un homme de violence, il était également un stratège redoutable. Sa poigne de fer et son intelligence aiguisée avaient fait de lui un chef craint et respecté. Il savait manipuler les individus aussi bien que les situations, utilisant toute sortes de subterfuge pour imposer sa volonté. Personne n'avait jamais osé le défier et tout le monde dans le marché finissait par se courber sous son joug. Ajouter à cela, la domination des soldats du maintien de l'ordre Khoda, il était inconcevable pour les Hayula de tenter quoi que ce soit contre Kurai. Il disposait non seulement d'une force militaire écrasante, mais aussi d'une influence financière et stratégique qui le rendait intouchable. Il était l'incarnation même de l'oppression à Noyl, et personne, pas même les plus désespérés, n’osait remettre en cause son autorité.
Pour Shakit et sa bande, s’attaquer à Kurai revenait à se jeter dans la gueule du loup. Mais dans leurs esprits embrumés par le désespoir et l'envie d'aller toujours plus loin, l’idée de renverser ce Khoda commençait à germer. Ils savaient que tenter de prendre le contrôle du marché ne serait pas une simple affaire de bravoure ou de force brute. Cela nécessiterait une stratégie, une audace sans pareille, et une volonté de fer capable de rivaliser avec celle de Kurai. Et malgré la peur omniprésente, il y avait quelque chose d’irrésistible dans ce défi. La possibilité de renverser l’ordre établi, de sortir de l’ombre et de refuser le destin qu'on leurs a tracé depuis leurs naissance. Peu à peu une flamme dans le cœur de Shakit s'est allumé, une flamme qu’il ne pouvait plus ignorer.
La fougue, l'insouciance et le courage imprudent de la jeunesse conduisirent les "Singes de Noyl" à perdre pied avec la réalité. Leur ambition grandissait au même rythme que leur réputation, et bientôt, les petits coups de main ne leur suffirent plus. Le rêve de contrôler le marché de la ville devint une obsession. Les premières tentatives des "Singes de Noyl" pour se faire un nom furent remarquées rapidement. Leur audace, alliée à une habileté à manipuler les failles du système, attira inévitablement l'attention de Kurai. Il avait passé des années à construire un empire invisible, en tissant une toile complexe de contrôles sur les activités du marché, en manipulant les commerçants, et en étendant son influence parmi les factions criminelles de la ville. Lorsqu'il remarqua l'ascension rapide des "Singes de Noyl", il décida d'agir, non pas avec la brutalité qui lui était associée, mais avec une ruse plus subtile. Plutôt que de les écraser immédiatement, Kurai opta pour une approche plus calculée. Il les attira de plus en plus près de lui, cherchant à les transformer en pions utiles plutot que de les éliminer.
Il organisa alors une rencontre discrète avec Shakit et les leaders des "Singes de Noyl". L'offre qu'il leur fit était très simple : un partenariat. Sous sa protection, les "Singes de Noyl" pourraient continuer à opérer dans le marché, à condition de lui verser une part de leurs gains et de ne pas empiéter sur ses affaires. En échange, ils bénéficieraient de la sécurité et de la stabilité que Kurai pouvait leur offrir. C'était une proposition alléchante, surtout pour des jeunes qui venaient à peine de s'imposer dans le milieu criminel. Shakit, toujours avide de pouvoir et désireux de monter en grade, comprit que cet accord pourrait être un tremplin vers plus de richesse et d'influence. Bien que méfiant, il accepta l'offre, tout comme ses camarades.
Pendant un temps, l’alliance avec Kurai fonctionna à merveille. Les "Singes de Noyl" purent opérer avec une relative liberté, gagnant en influence et en ressources sous la protection du Khoda. Mais plus ils s’enrichissaient, plus leur ambition dévorante les poussait à désirer davantage. L’amertume commença à germer en Shakit. Le Khoda, bien qu’allié, restait un oppresseur, un ennemi naturel qui profitait de leur travail et de leurs risques pour son propre gain. Shakit, grisé par ses succès récents, rêvait d'indépendance. Il voulait se débarrasser de Kurai, prendre le contrôle total du marché, et ne plus être l'instrument de qui que ce soit. La rupture se produisit lorsqu'une opportunité inespérée se présenta : un coup majeur, un vol audacieux qui pourrait leur permettre de s'émanciper définitivement de l'influence de Kurai. Ils réussirent à détourner une cargaison précieuse, destinée à l’un des entrepôts contrôlés par le Khoda, et décidèrent de garder le butin pour eux, rompant ainsi l'accord tacite qui les liait au Khoda. Ce geste n’était pas seulement une trahison, c’était une déclaration de guerre ouverte. Kurai, furieux de cet affront, comprit qu’il ne pouvait plus tolérer cette insubordination.
Plutôt que de se précipiter dans une confrontation directe, Kurai opta pour une stratégie sournoise, digne du tacticien qu'il était. La guerre des nerfs devint de plus en plus fort, chaque camp cherchant à prendre l'ascendant sur l'autre. Mais Kurai, avec son expérience et son intelligence acérée, resserra lentement l’étau autour de la bande de Shakit. Il commença par isoler leurs alliés, coupant leurs accès aux ressources et retournant certains de leurs soutiens contre eux. Les affaires que Shakit et sa bande avaient commencé à contrôler se mirent soudainement à péricliter ; les marchandises devinrent introuvables, les contacts se firent rares. Le marché, autrefois vivant, se transforma en un lieu de méfiance et de tension. Les rumeurs de la colère de Kurai se répandirent comme une traînée de poudre, semant la peur dans les rangs de ceux qui avaient osé défier son autorité. Les "Singes de Noyl", qui avaient autrefois été traité comme des rois dans le marché, commencèrent à ressentir la pression de plus en plus fort sur eux. La peur s'infiltrait dans leurs cœurs, alors que l'étau se refermait inexorablement. Tout cela parfaitement orchéstré par Kurai, qui les poussait lentement mais sûrement vers l'effondrement.
Les tensions avaient atteint un point de rupture. Kurai, dans toute sa ruse, décida qu'il était temps de frapper un coup décisif. Il laissa délibérément filtrer des informations sur un convoi exceptionnellement lucratif, prétendument destiné à traverser le marché. Pour Shakit, c'était une chance inespérée, une opportunité de renverser la situation après tant de revers. Aveuglés par la faim de victoire et dos au mur, ils décidèrent de tenter un dernier coup, espérant renverser la vapeur et reprendre la main dans ce jeu mortel. Mais Kurai, dans l'ombre, avait préparé une embuscade. Lorsque Shakit et ses hommes se jetèrent sur le convoi, ils tombèrent droit dans le piège. L'attaque, qui devait être leur ultime triomphe, se transforma en un massacre. Les "Singes de Noyl", pris au dépourvu, furent abattus ou capturés, leur nombre se réduisant drastiquement en quelques instants. Le marché, autrefois leur terrain de jeu, était désormais le lieu de leurs chute.
Shakit et d'autres purent fuire mais ils étaient acculé et désespéré, la fin était proche pour eux. Le cornu se retrouva face à l'évidence de sa chute. L'étau que Kurai avait patiemment resserré autour de lui se refermait, et il ne lui restait plus qu'une option : prendre un risque ultime, un acte qui relevait davantage du désespoir que d'une véritable stratégie. Il savait que pour faire tomber un homme aussi puissant que Kurai, il devait frapper là où cela ferait le plus mal. Et malgré la peur omniprésente que la ville de Noyl avait pour Kurai, personne n’avait jamais osé s’en prendre à ce qui lui tenait le plus à cœur : ses deux filles jumelles, qu’il protégeait de tout son coeur. Bien que vivant dans la ville sordide de Noyl, Kurai résidait dans un luxe inouï, un palais caché au cœur des ténèbres. Cet îlot de richesse ostentatoire était en total contraste avec la misère environnante. Ses filles, des beautés identiques en tout point, étaient connues dans toute la ville. Elles étaient son trésor le plus précieux, les seules capables de tirer un sourire sincère de son visage de pierre. Leur simple présence rappelait à tous que, malgré son cœur noir, Kurai était toujours capable d’aimer. Pour Shakit, en revanche, ce trésor représentait une faiblesse exploitable, une faille dans son armure. Poussé par une haine profonde née d’années de frustrations, de combats perdus et de souffrances, Shakit prit la décision de s’en prendre aux filles de Kurai. Il savait que cet acte serait vu comme une mission suicide, que personne dans Noyl n’avait jamais osé toucher aux enfants de Kurai, précisément parce que les conséquences seraient impensables. Mais Shakit, dans son état d’esprit désespéré, n’était plus un homme rationnel. Il n’avait plus rien à perdre, et dans sa quête de vengeance, il décida de frapper là où Kurai ne s’y attendrait jamais.
Avec une détermination farouche et une habileté acquise dans les rues de Noyl, Shakit réussit l’impensable : il captura les deux filles de Kurai. Ce fut un acte d’une grande audace mais aussi plein de folie, un choc qui laissa toute la ville en état de stupeur. Le message qu’il envoya à Kurai était simple : le rencontrer au marché, seul, pour négocier une reddition. Ce lieu, autrefois le théâtre de leurs premières escarmouches, allait devenir l’épicentre d’une confrontation finale, sous les yeux de tous les habitants de Noyl. C’était une provocation ouverte, un défi lancé en plein jour, là où tous pourraient être témoins du dénouement.
Kurai sur de sa force écrasante face à Shakit accépta, lorsqu'il se présenta au marché, l’air était chargé d’une tension palpable. Malgré la gravité de la situation, il ne pouvait concevoir qu’un être aussi insignifiant qu'un Hayula ait pu oser s'en prendre à ce qu'il avait de plus précieux. Il se tenait droit, son corps émanant une autorité glaciale. Son visage, habituellement impassible, se tordit en un rictus de mépris alors qu'il s’adressait à Shakit, il se mit à l'humilier, ses mots tranchants comme des lames, destinés à briser toute velléité de rébellion. Chaque parole était une insulte, une remise en question de l’audace même de ce Cornu qui osait se tenir devant lui. Kurai se moqua de Shakit, de sa prétention à croire qu'il pouvait négocier, qu'il avait le moindre pouvoir dans cette situation. Pour lui, cette confrontation n'était qu'une formalité, une leçon à donner devant tout le monde, un moyen de rappeler à Noyl que personne, pas même un Cornu, ne pouvait toucher un Khoda, encore moins un Gorg, sans en payer le prix fort. Mais dans son arrogance, Kurai ne vit pas le visage de Shakit se transformer. Il ne perçut pas la fureur grandissante dans ses yeux, cette flamme de rage qui bouillonnait depuis des années. Les mots de Kurai, au lieu de le soumettre, ravivèrent une colère que Shakit ne pouvait plus contenir. Cette humiliation publique, après tant de souffrances et de luttes, fit exploser en lui une rage primitive, une force destructrice qu’il ne pouvait plus réprimer. Après tant d'années à vivre dans la violence et la malveillance quotidienne, Shakit n'avait plus de morale, plus de limites. Tout ce qui comptait désormais, c'était de gagner, de s'élever dans la hiérarchie impitoyable de Noyl, et de se venger. Alors que Kurai continuait de le mépriser, Shakit sentit la dernière barrière de sa raison s'effondrer, laissant place à une volonté de vaincre à tout prix.
Le cœur rempli de haine, une arme à la mains, prêt à tout pour obtenir ce qu'il veut. Il menaca de tuer les filles du Khoda. Les larmes se mirent à couler du visage de ces deux enfants, mais au moment crucial, Shakit hésita. Il sentit le poids de ce qu'il s'apprêtait à faire, comprenant que franchir cette ligne le transformerait en quelque chose de bien pire que ce qu'il était. Un doute s'insinua en lui. La réalité du geste qu'il s'apprêtait à commettre, cette ligne qu'il s'apprêtait à franchir, pesait sur lui. Il comprenait, au plus profond de lui, que cet acte était irréversible. Dans le tumulte de cette confrontation, alors que Shakit luttait intérieurement, Kurai, sentant l'hésitation du Cornu, tenta de prendre l'avantage en utilisant sa magie pour le désarmer. Mais Shakit, par un réflexe fulgurant, parvint à parer l'attaque. Ce choc inattendu déclencha une explosion d'énergie, une déflagration brutale. L'une des filles du Khoda, prise au cœur de l'explosion, fut tuée sur le coup, son corps inerte s'effondrant lourdement sur les pavés du marché. L'autre, gravement blessée, s'effondra à côté de sa sœur, sa vie ne tenant plus qu'à un fil.
Le monde sembla s’arrêter. Le marché, si bruyant quelques instants auparavant, se noya dans un silence de mort. Kurai, figé, ne pouvait croire à l'horreur qui se déroulait sous ses yeux. Ses filles, ses trésors les plus précieux, les seules âmes qu'il avait véritablement aimées, gisaient là, inertes, leur vie s'éteignant devant lui. Le sang chaud et épais des deux jeunes filles s'écoulait lentement le long des mains de Shakit, se répandant en une mare sombre sur les pavés du marché. L'instant était figé, irréel. Les hurlements de la foule, qui jusque-là étaient contenus par la peur, éclatèrent soudainement, libérant des vagues de panique et d'horreur. Mais Kurai n'entendait rien. Son monde s'était réduit à un point unique, à cette scène infernale où tout ce qu'il aimait venait d'être détruit. Ses genoux vacillèrent sous le poids de la réalité, tandis qu'il fixait les corps de ses filles, des larmes de rage et de chagrin montant à ses yeux. Le visage de Kurai, habituellement impassible, se décomposa. La douleur intense se mua en une rage noire, une rage qui consumait tout sur son passage. Il ne voyait plus que Shakit, cet homme qui venait de lui arracher son cœur, cet être qui avait osé briser ce qui était le plus sacré à ses yeux. Un cri primal, déchirant, s’échappa de sa gorge, un cri qui résonna à travers tout le marché, faisant trembler même les murs de pierre qui l’entouraient.
Sans la moindre retenue, Kurai se jeta sur Shakit avec une violence que personne n’avait jamais vue auparavant. Leurs corps s’entrechoquèrent dans une lutte acharnée, et la bataille s’engagea avec une intensité brutale. Kurai, fou de douleur et de colère, déchaîna sa magie. Des flammes noires jaillirent de ses mains. Shakit, animé par la même fureur, rassemblait toute la puissance qu’il pouvait, frappant avec une force brute alimentée par sa rage, ses poings enflammés rencontrant la peau dure de Kurai.
Chaque coup échangé était une déflagration, un affrontement où la haine et la tristesse se mêlaient à une volonté tuer. Kurai, bien que supérieur en technique, était déstabilisé par la brutalité sauvage de Shakit, qui frappait avec une précision féroce, exploitant chaque ouverture, chaque faiblesse. Les pavés du marché se fissuraient sous leurs pieds, les flammes frappaient les murs, des débris volaient dans tous les sens alors que les deux combattant s’affrontaient avec une détermination sans limites. Le marché se transformait en un champ de ruines. Les stands et les marchandises étaient réduits en cendres, les témoins de la scène, terrorisés, fuyaient ou se cachaient pour échapper à la furie. Ce lieu n'était plus qu'un théâtre de destruction, où deux forces opposées se heurtaient avec une intensité capable de faire trembler la terre.
Kurai sentait chaque coup de Shakit résonner en lui, il ressentait la force de ce Cornu qui avait osé défier un Khoda. Pour la première fois depuis des années, il se sentait vulnérable, et cette vulnérabilité, loin de l'affaiblir, augmentait sa rage d’une manière presque divine. Les souvenirs de ses filles, les images de leurs sourires, se mêlaient à la vision de leurs corps sans vie, gisant sur les pavés du marché. Cette fusion de douleur et de colère décuplait sa puissance. Redoublant d’efforts, Kurai accéléra ses attaques, chaque coup devenant plus rapide, plus précis, chaque geste amplifiant son pouvoir. Shakit, bien qu'il fût formidable dans son endurance, commença à plier sous la pression implacable de Kurai. Chaque coup qu’il portait semblait lui coûter davantage de force, chaque impact reçu le rapprochait un peu plus de l’épuisement total. Kurai, malgré sa rage aveugle, sentait que la fin du combat approchait. Dans un dernier assaut dévastateur, il parvint à projeter Shakit contre un mur avec une telle violence que le sol se fissura sous l'impact. Le Hayula, brisé, tenta désespérément de se relever, mais Kurai était déjà sur lui, le frappant encore et encore, chaque coup un exutoire pour la douleur qu’il ressentait. Les poings de Kurai, enveloppés de flammes noires, s'abattaient sur Shakit comme des marteaux, chaque impact résonnant dans le marché. Shakit perdit très vite connaissance, son corps, inerte, n’était plus qu’un amas de chair à la merci de la furie de Kurai. Il continuait à le frapper encore et encore, mais alors que le Khoda se préparait à porter le coup fatal, celui qui mettrait un terme à la vie de Shakit, les derniers compagnons fidèles de Shakit, surgirent des ombres. Voyant leur amis sur le point d’être achevé, ils se précipitèrent pour intervenir. Dans un acte de désespoir et de loyauté, ils attaquèrent Kurai, parvenant à le distraire juste assez longtemps pour arracher Shakit à son emprise. La rage de Kurai, les repoussa violemment, mais leur intervention avait suffi : Shakit, grièvement blessé, fut emporté en sécurité, échappant de justesse à la mort.
Le marché de Noyl, désormais en ruines, resta le témoin silencieux de cette bataille titanesque. Kurai, debout parmi les débris, le souffle lourd, les yeux égarés dans une folie meurtrière, hurla son désespoir et sa colère vers les cieux. Sa vengeance était incomplète, et la perte de l'une de ses filles, son cœur déchiré à jamais, le hanterait jusqu’à la fin de ses jours. Quant à Shakit, bien qu’il ait survécu, il portait désormais le fardeau de son acte, un acte qui l’avait marqué aussi profondément que la rage de Kurai.
La chute
Pendant trois jours, Shakit dériva entre la vie et la mort, son corps brisé, son esprit en lambeaux. Il finit par se reveiller chez l'un de ses compagnon, et la premiere chose qu'il ressentit fut la douleur physique, bien qu’insupportable, elle ne fut rien comparée au poids écrasant qui pesait sur son âme. Les souvenirs de ce qui s’était passé sur le marché de Noyl l’assaillirent avec une clarté cruelle : le visage déformé par la rage de Kurai, les cris déchirants des habitants, et surtout, cette sensation viscérale, inoubliable, du sang chaud des filles de Kurai coulant sur ses mains. Ce moment, où tout avait basculé, où la haine avait pris le dessus sur ce qu’il avait autrefois été, ces souvenir le hantait sans relâche. Il apprit que la ville, l’avait surnommé "Main Rouge" après cet événement. Ce nom, qui aurait pu être synonyme de puissance ou de terreur pour d’autres, n’inspirait à Shakit que dégoût. Il ne ressentait aucune fierté dans ce titre, seulement une honte profonde. Le simple fait de penser à ses mains, maintenant souillées par un acte irréparable, le rendait malade. La tristesse s’infiltra en lui, rongeant son être de l’intérieur, et il rendait peu à peu compte de l’ampleur des dégats qu’il avait causées.
À l'éxtérieur la situation à Noyl était devenue intenable. Kurai, fou de rage, avait mis à prix la tête de Shakit, lançant une chasse impitoyable contre lui et tous ceux qui avaient un jour fait partie de son entourage. Les rues de la ville étaient devenues une chasse à l'homme, où ses camarades étaient traqués et abattus les uns après les autres. Leurs corps, laissés en exemple dans les ruelles sombres, témoignaient de la fureur sans pitié de Kurai. Le Cornu savait que sa vie ne tenait plus qu’à un fil, et même s’il était en proie à une douleur accablante, son instinct de survie, aussi primaire soit-il, reprit temporairement le dessus. Il devait fuir, quitter Noyl, quitte à tout abandonner derrière lui.
Malgré la terreur qui régnait à Noyl, malgré les nombreux checkpoints érigés par Kurai et la sécurité renforcée pour attraper les derniers membres des "Singes de Noyl", Shakit parvint à s’échapper. Ce fut une fuite chaotique, marquée par une peur constante, tout semblait annoncer sa fin imminente. Mais il mit à profit toutes les ruses apprises dans les rues de Noyl pour tromper les gardes, se faufiler à travers les mailles d'un filet qui se refermait sur lui, et finalement, il réussi à quitter Noyl, abandonnant derrière lui son passé sans meme pouvoir faire ses adieux à ses amis ou sa famille.
Après une fuite éreintante de plusieurs semaines dans Pahyn, Shakit atteignit un petit village, perdu à des centaines de kilomètres de Noyl, son oncle y vivait et il avait suivi le chemin de maniere quasi instinctif. Cet endroit modeste et paisible contrastait fortement avec l'enfer qu'il avait laissé derrière lui. Mais il y arriva épuisé, le corps brisé par la course effrénée, l'ésprit détruit. Il n’était plus rien du guerrier qu’il avait été, plus rien du chef audacieux qui avait autrefois dirigé les "Singes de Noyl". Chaque pas semblait le rapprocher un peu plus du gouffre, de cette obscurité qui le menaçait depuis qu’il avait quitté Noyl. Ses vêtements déchirés pendaient sur lui comme des haillons, son visage était ravagé par la fatigue et la douleur, mais ce qui frappait le plus, c’était le vide dans ses yeux, ce regard éteint qui semblait avoir perdu toute étincelle de vie.
À son arrivée, son oncle, un homme d’âgé, au visage marqué par une vie difficile, l’accueillit. Cet homme simple, habitué à travailler la terre avec une patience forgée par des années de d'effort, le prit dans ses bras. Ce geste, empreint de chaleur et de réconfort, aurait autrefois touché Shakit, mais à cet instant son ésprit était ailleurs, il ne ressenti rien, le regard vide. Il avait fui, mais la culpabilité l’avait suivi. Assis dans la petite maison de son oncle, entouré de murs de pierre froide, Shakit écouta avec un cœur lourd le récit des horreurs qui s’étaient abattues sur sa famille à Noyl. Kurai, dans sa rage dévastatrice, avait massacré toute sa famille. Ses parents, ses frères et sœurs, tous avaient été tués sans pitié, leurs vies arrachées dans une vague de violence aveugle. Ce qui avait autrefois été une famille, aussi modeste soit-elle, n’était plus qu’un souvenir brisé. L’oncle de Shakit, la voix tremblante de chagrin, tenta de le réconforter, mais ses mots ne pouvaient plus atteindre son neveu. Ces nouvelles firent s’effondrer Shakit sous le poids de ses propres choix, comme si le monde entier s’écrasait sur ses épaules. Il n’avait plus que la tristesse et le remord pour le hanter, l’étouffer. Shakit comprenait désormais que la mort de sa famille, la destruction de tout ce qu’il avait un jour connu, était de sa faute.Qu'il les avait sacrifié pour une ambition dévorante qui ne l’avait conduit qu’à la ruine. cette force sans limite qui l’avait toujours poussé en avant, avait fini par l'aveugler. Il avait cru que la violence et la domination étaient les seuls moyens de s’élever, mais ne voyait que maintenant que ce chemin n’avait fait du mal qu’à des innocents. Ses parents, ses frères et sœurs, ses compagnons, même ceux qui l’avaient aimé malgré ses défauts, avaient payé le prix de ses choix. Mais en plus d'avoir causé du tords à ses proches il avait meme fini par entrainer d'autres innocent completement étrangé à son histoire dans sa chute. Le souvenir de ses mains, ces mains qui avaient brisé la vie de jeunes filles innocentes, ne cessait de le tourmenter. Il pouvait encore sentir le sang chaud sur ses doigts, cette sensation viscérale qui le hantait jour et nuit. Le souvenir de cet instant, où tout avait basculé, où la haine avait pris le dessus sur l’homme qu’il avait autrefois été, se rejouait sans cesse dans une boucle infinie de regret et de dégoût de soi. Kurai avait peut-être été l’étincelle qui avait déclenché l’explosion, mais c’était Shakit qui était la poudre, par ses actions, par ses décisions, par sa soif de pouvoir et de respect. En se rendant compte de cette vérité il plongea dans une détresse plus profonde encore, un abîme dont il ne voyait aucune issue. Il était hanté par ses erreurs, écrasé par les conséquences de ses choix, incapable de se libérer du fardeau qu’il avait lui-même créé.
Les jours, puis les semaines qui suivirent, Shakit était pérdu dans ses pensés à ruminer encore et encore. Il se souvenait des jours où il méprisait la vie de dur labeur de sa famille, cette existence simple qu’il avait si facilement rejetée au profit de la violence et de l’argent. Ils avaient travaillé honnêtement, avec dignité, acceptant la dureté de leur existence avec un courage que lui n’avait jamais compris, ni respecté. À l’époque, il les avait considérés comme faibles, alors qu’en réalité, ils possédaient une force que lui-même n’avait jamais eue. Cette vérité, qu’il découvrait enfin, le transperça comme une lame glaciale. Il avait rejeté cette force, cette résilience, pour poursuivre un réve de grandeur qui n’avait fait de lui qu’un monstre.
Tout cela l’avait mené à ce point de non-retour. Il se rendait compte qu’il ne s’était jamais comporté comme un dignement, mais comme un lâche qui avait toujours fui ses responsabilités. Chaque décision qu’il avait prise, chaque acte de violence, chaque trahison, n'était que des choix de facilité. Lui qui se croyait fort, cette réalité fut dur à encaisser. Il avait fui la vie honnête pour l’illusion de la puissance, et en chemin, il avait perdu tout ce qui faisait de lui un être digne de respect, de confiance, d’amour. Il avait détruit tout ce qu’il avait touché, et pour quoi ? Pour finir comme une bête traquée, dépouillée de tout honneur, de toute humanité. Il n’était plus rien, sinon un homme consumé par le remords, condamné à porter le poids de ses actes jusqu’à la fin de ses jours.
Les semaines qui suivirent se fondirent en mois. Shakit erra dans le village comme une ombre, une silhouette fantomatique ayant perdu toute volonté de vivre. Il n’avait plus envie de rien, plus aucune force pour lutter, pour se battre. Chaque matin, il se réveillait avec un sentiment de vide, une absence totale de désir ou d’espoir. Le cornu se laissait aller, sa vie n’étant plus qu’une succession de journées sans but, sans lumière. Il marchait dans les rues du village, la tête basse, évitant les regards des autres. La nourriture lui semblait sans goût, le sommeil sans repos. Il se contentait de survivre, de flotter dans une existence sans substance. Le simple fait de respirer lui semblait une tâche trop lourde, mais même dans sa misère, il ne trouvait pas le courage de mettre fin à sa vie. Les habitants du village finirent par s’habituer à sa présence. Bien que méfiants, ils éprouvaient un mélange de pitié et de peur pour cet homme qui n’était plus que l’ombre de lui-même. Personne n’osait l’approcher, mais tous savaient que la douleur qui le rongeait était bien plus profonde que tout ce qu’ils pouvaient imaginer. Il n’était plus que l’ombre de l’homme qu’il avait été, un être à la dérive, errant dans un village qui n’était plus qu’un refuge pour son corps.
Ainsi se terminait la chute de Shakit, non par la mort, mais par l’abandon de tout ce qui le rendait autrefois vivant. Il n’était plus que l’écho d’un être jadis fier, effondré sous le poids de ses propres choix, sombrant dans la dépression.
Le vent souffle
Les jours sombres et sans espoir de Shakit s’étiraient interminablement, une existence morne marquée par la tristesse et le remords. Pourtant, son oncle, un homme simple et travailleur, refusa de le voir sombrer complètement dans cet abîme. Bien que Shakit errait sans but, perdu dans ses propres tourments, son oncle restait patient, le soutenant discrètement, sans jamais le forcer à quoi que ce soit. Il voyait en Shakit l’ombre d’un homme brisé, mais il savait aussi que parfois, il faut laisser du temps à un homme dans une vie, qu'il faut prendre le temps de liberer son ame en proie au désépoire et que finalement, la vie la plus simple pouvait offrir une rédemption inattendue. Un matin, alors que Shakit, encore hanté par ses démons intérieurs, vagabondait sans but à travers les champs, son oncle sentit qu'il était temps pour lui de sortir la tete de l'eau, que le temps de se morfondre sur son sort avait été passé. Il l’interpella. D’une voix ferme, il l’invita à l’aider à travailler la terre. Ce n’était pas une demande pressante, mais une simple proposition, un geste de bienveillance dans un monde qui semblait avoir perdu tout sens pour Shakit. D’abord hésitant, l’esprit encore embrouillé par le doute et la douleur, Shakit accepta finalement.
Le travail de la terre était dur, exigeant, mais il avait quelque chose d’apaisant, de profondément enraciné dans l’ordre naturel. Il y avait une sorte de réconfort primitif à retourner la terre, à planter des graines, à voir la vie germer sous ses mains, ces mêmes mains qui avaient tant détruit autrefois. Les jours se transformèrent en semaines, puis en mois. Peu à peu, ce travail humble et répétitif commença à reveiller quelque chose en lui. Il trouvait dans cela une forme de réconfort, une manière de se reconnecter à une vie qu’il avait longtemps méprisée. Chaque matin, en sentant la fraîcheur de la terre sous ses pieds, en respirant l’air pur du village, Shakit commençait à percevoir une petite étincelle de vie renaître en lui. C’était un processus lent mais qui lui faisait beaucoup de bien. Le poids de ses fautes était toujours présent, mais il commençait à apprendre à vivre avec, à avancer malgré tout.
Le soir, après une longue journée passée à cultiver les champs, il s’asseyait avec son oncle devant la petite maison, partageant un repas, profitant du calme et du silence. Ces moments simples, ces instants de sérénité, l’aidaient à se reconstruire. Bien sûr, son passé ne le quittait jamais complètement. Les souvenirs de Noyl, des vies qu’il avait brisées, des erreurs qu’il avait commises, continuaient de le hanter. Mais il commençait aussi à comprendre que, bien qu’il ne puisse pas changer le passé, il pouvait choisir de vivre autrement.
Les années passèrent, et Shakit devint un homme du village, connu pour sa force et sa capacité à faire renaître des terres autrefois stériles. La vie simple lui plaisait, lui apportant une paix qu’il n’avait jamais connue auparavant. Même si la cicatrice de son passé restait douloureuse, il parvenait à la supporter, à en faire une partie de lui sans qu’elle ne le définisse entièrement. Il s’était presque convaincu que son histoire à Noyl appartenait à une autre vie, qu’il avait réussi à s’en détacher. Pourtant, des rumeurs commencèrent à circuler dans le village. On parlait d’un Hayula du nom de Shaheen, un rebelle qui s’était levé contre les Khoda. Au début, Shakit n’y prêta guère attention. Il avait entendu tant de ragots et de légendes au fil des ans, et il n’avait plus foi en de telles histoires. Pour lui, le monde continuait de tourner avec ses mêmes injustices, ses mêmes oppresseurs, et rien ne changerait vraiment. Il se contentait de son travail, refusant de se laisser entraîner dans des rêveries de rébellion ou de renouveau. Mais au fil des mois, les rumeurs sur Shaheen devinrent de plus en plus persistantes. Les récits racontaient comment cet Hayula avait déjà réussi à libérer plusieurs villes de la domination des Khoda, comment il ralliait de plus en plus de monde à sa cause. Les histoires se faisaient de plus en plus précises, de plus en plus difficiles à ignorer. Mais Shakit, bien qu’intrigué, se refusait à croire que quelque chose de si grand pouvait réellement se produire. Pour lui, ce n’étaient que des contes, des illusions pour apaiser les esprits fatigués des Hayula.
Un jour, alors qu’il travaillait la terre avec son oncle, un étranger arriva au village. Shakit, les mains encore imprégnées de la terre, ne prêta d’abord pas attention à cet homme qui s’approchait lentement de lui. Les voyageurs étaient rares mais pas inconnus dans ces contrées reculées, pourtant il y avait chez cet homme quelque chose de différent, une aura qui le distinguait immédiatement des simples passants. Son visage était dissimulé sous une capuche, son corps enveloppé dans un long manteau usé par le temps, mais ce qui frappait le plus, c’était l’impression de calme et de détermination qu’il dégageait. L’homme s’approcha de Shakit, le regardant droit dans les yeux, et dans ce regard, il y avait une intensité, une profondeur qui fit vaciller quelque chose en Shakit. L’étranger se présenta simplement, d’une voix grave, posée, presque solennelle : "Je suis Shaheen."
Shakit se redressa instinctivement, la surprise traversant son regard, mais il resta silencieux, scrutant cet homme qui, selon les rumeurs, avait déjà accompli l’impossible. Sans savoir pourquoi, il savait qu'il s'agissait bien de lui, cette homme degageait une telle aura qu'il était impossible que ce soit un mensonge ou une ruse. Le nom de Shaheen, murmuré dans les recoins des tavernes et des marchés, était devenu synonyme d’espoir pour certains. Mais le rencontrer ici, dans ce village oublié, était la dernière chose à laquelle Shakit s’attendait.
Shaheen continua, son ton ne laissant place à aucune incertitude : "Je suis venu te trouver, Main Rouge."
Ces mots résonnèrent en lui comme un coup de tonnerre, réveillant des émotions qu’il avait tenté d’enterrer sous des années de silence et de travail. Le surnom qu’il avait abandonné avec tant de douleur, celui qui portait en lui le poids de ses erreurs passées, revenait le hanter. Shaheen n’était pas là pour flatter, ni pour séduire avec de grandes promesses. Il était là pour une raison bien précise, et Shakit le sentait dans chaque fibre de son être. Ce fut un moment suspendu dans le temps, où les deux hommes se jaugèrent, deux trajectoires de vie si différentes, mais qui, en cet instant, semblaient inévitablement liées.
Les années de paix que Shakit avait durement acquises semblaient soudain fragiles, comme si elles pouvaient être balayées à tout moment. Le sol sous ses pieds, autrefois stable et réconfortant, se dérobait lentement, laissant place à l’incertitude. Shakit, le cœur battant, ne savait pas encore ce que cette rencontre allait signifier pour lui, mais il sentait que sa vie ne serait plus jamais la même. Le passé qu’il avait tenté de fuir venait de le rattraper. Shaheen, après avoir laissé un long silence, reprit d'une voix ferme mais teintée de respect. "Je suis ici pour trouver le seul Hayula qui a eu le courage de se soulever contre les Khoda dans la ville de Noyl. La vie à Pahyn est déjà un défi quotidien, mais tenir tête aux Khoda à Noyl, c’est quelque chose que peu, très peu, auraient osé. Cela relève de l'impossible pour la majorité, mais toi, tu l'as fait."
Shakit baissa les yeux, sentant la froideur de la terre sous ses pieds, cherchant à s'ancrer dans quelque chose de tangible pour ne pas sombrer sous le poids de ces paroles. Il n'avait jamais voulu que son histoire, son passé sanglant, devienne une légende, encore moins une source d'inspiration. Pourtant, Shaheen continuait, imperturbable, comme s'il ne voyait pas, ou refusait de voir, la tempête intérieure qui tourmentait Shakit.
"Pendant que tu te cachais ici, loin de Noyl, la légende de Main Rouge s'est répandue à travers tout le royaume souterrain," expliqua Shaheen. "Ton nom est sur toutes les lèvres, Shakit. Les Hayula parlent de toi. Ils voient en toi quelqu'un qui a défié l'ordre établi, quelqu'un qui, même face à des adversités insurmontables, a montré qu'il était possible de se dresser contre nos oppresseurs."
Shakit sentit une boule se former dans sa gorge. Le nom de Main Rouge était pour lui un rappel cruel de ses pires actes, de son échec à contrôler la rage qu'il avait en lui qui avait fini par conduir à la mort de nombreux innocents. Ce n'était pas un nom qu'il portait avec fierté, mais avec honte.
Shaheen, pourtant, n'était pas là pour juger. Son regard restait intense, plein de détermination. "Je veux que Main Rouge rejoigne mon armée," déclara-t-il avec conviction. "Ta puissance, ton courage, et ton leadership pourraient être un atout inestimable dans cette guerre. Ensemble, nous pouvons libérer encore plus de nos frères et sœurs de l'emprise des Khoda. Nous avons besoin de toi."
Ces mots, porteurs d'une gravité immense, résonnaient comme un appel auquel il ne pouvait échapper. Shakit, partagé entre le poids de son passé et l'espoir fragile d'une rédemption, sentait les murailles qu'il avait érigées autour de lui se fissurer. Il n'avait jamais demandé à être un symbole, mais les circonstances, l'avaient forgé en une figure de résistance malgré lui. Mais il resta silencieux, pris dans une lutte intérieure que seul lui pouvait comprendre. Mais le Cornu ne pouvait ignorer le profond dégoût qu’il ressentait en lui-même. Il leva les yeux vers Shaheen, son visage marqué par la fatigue et les années de lutte intérieure. "Tu te trompes," dit-il d'une voix rauque, empreinte de douleur. "Ce que tu vois comme du courage, je le vois comme une terrible erreur. J’ai agi par colère, par désespoir, et par pur orgueil. Je ne cherchais pas à aider mes semblables, je ne pensais qu'à moi-même. Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait par avarice et par ambition personnelle. Les gens aiment raconter des légendes, mais ils oublient souvent la vérité. Ils déforment l’histoire pour qu’elle corresponde à ce qu’ils veulent entendre. Le résultat de mes actes n'a apporté que douleur et destruction. Il n'y a pas d'honneur à porter le nom de Main Rouge. Je ne suis pas un héros. Je suis un homme qui a échoué à protéger ceux qui comptaient pour lui, un homme qui a causé la mort de ceux qui ne méritaient pas de souffrir."
Shaheen observa Shakit en silence, laissant ses paroles se dissiper dans l'air. Il voyait clairement le poids des regrets et la tristesse qui rongeait cet homme devant lui. Mais malgré toutes ses erreurs, il était venu chercher un homme qui, avait fait preuve d'une force incroyable dans les pires circonstances. Un homme qui avait refusé le destin qu'on lui avait imposé.
"Shakit," dit doucement Shaheen, "nous portons tous nos fardeaux, nos regrets. Ce que tu as fait à Noyl, c’était un acte de défi, un acte qui a montré aux autres Hayula qu'il est possible de se battre, même quand tout semble perdu. Je ne te demande pas d’oublier ton passé, ni de le nier. Je te demande de l’accepter, de comprendre qu’en dépit de tout, tu as montré à beaucoup qu'il est possible de refuser la vie qu'on nous impose. Ce n’est pas pour glorifier la violence que je suis ici. Je suis ici parce que, malgré ce que tu penses de toi, tu es une source d’inspiration pour ceux qui n’ont plus rien..."
"Une source d'inspiration !?" s’écria Shakit en l'intérompant, la colère montant en lui. "J'ai le sang de petites filles sur les mains, je n’ai semé que le désespoir derrière moi ! Comment puis-je être une source d’inspiration ?!"
Il s'arrêta, épuisé, ses épaules s’affaissant sous le poids de ses propres mots. La tristesse s’installa sur ses traits, profonde, presque palpable. "Ce que tu dis me donne envie de vomir," murmura-t-il, un tremblement dans la voix. Puis, après un long silence, il finit par dire d'une voix presque brisée : "Je ne suis pas celui que tu penses. Je ne suis pas celui que les autres voient. Je ne suis qu’un homme brisé, essayant de rassembler les morceaux de ce qu’il a détruit."
Le silence retomba sur eux, lourd de significations non dites. Shaheen n’avait pas besoin de répondre immédiatement, car il savait que les blessures de Shakit étaient profondes, trop profondes pour être guéries par de simples paroles. Mais il savait aussi que, dans cet homme brisé, résidait une force qui, malgré tout, avait survécu à la tempête. Une force qui, si elle était dirigée vers la bonne cause, pouvait encore changer le cours du destin de nombreux Hayula. Alors il se décida à lui parler franchement pour reveiller cette étincelle en lui.
Shaheen fixa Shakit. Il s’approcha lentement et prit enfin la parole, sa voix vibrante d’émotion, "Shakit," commença-t-il doucement, "je sais que tu portes un fardeau immense. Je sais que les ombres de ton passé te suivent comme un spectre, que les erreurs que tu as faites te hantent chaque jour. Mais écoute-moi bien, car ce que je vais te dire vient du cœur, du plus profond de ce que je crois être juste et vrai dans ce bas monde."
Le vent se leva à cet instant, comme pour accentuer l’importance des mots à venir. Shaheen marqua une pause, son regard plongeant dans celui de Shakit, cherchant à atteindre ce qui restait de vie, de foi en cet homme.
"Nous, les Hayula, avons été condamnés à vivre sous terre, à respirer l'air puant de Pahyn, à ne jamais voir le ciel ouvert au-dessus de nous. Pourquoi ? Pour des crimes que nos ancêtres auraient commis, il y a des milliers d'années. Des crimes dont nous ne savons même plus la nature. Nous avons été jugés et punis pour des actes qui ne sont pas les nôtres, et nous avons accepté ce sort, génération après génération. Mais je te le demande, Shakit : est-ce là la vie que nous méritons ? Est-ce là ce que nos enfants méritent ? De naître et de mourir dans l'obscurité, sans jamais connaître la lumière du soleil, sans jamais sentir la pluie sur leur peau, sans jamais voir le ciel bleu de l'été ?"
Shaheen s’approcha encore, sa voix s’élevant légèrement, remplie de passion, "Je crois que chaque être vivant a droit à la liberté. Nous avons droit d'exister pleinement, de vivre sans chaînes, sans ce poids invisible mais oppressant que les Khoda ont posé sur nos épaules. Le temps des Khoda est révolu. Leur règne, basé sur l'oppression, ne peut pas durer éternellement. Ce n’est pas à eux de décider de notre destin. Ce n’est pas à eux de nous dire où nous devons vivre, où nous devons mourir."
Le discours de Shaheen, imprégné d’une force tranquille, résonnait dans l’air, un écho d’un avenir possible où les Hayula ne seraient plus des ombres sous terre, mais des êtres libres, dignes de fouler la surface du monde. Chaque mot, chaque syllabe était un appel à l’âme de Shakit, à cette part de lui qui, malgré tout, malgré la honte et les regrets, aspirait encore à la lumière, à une rédemption qui ne viendrait pas de la fuite, mais de l’action.
Les yeux de Shakit s'embuèrent alors qu'il écoutait ces paroles, sentant une chaleur qu'il n'avait pas connue depuis bien longtemps envahir son cœur, une chaleur qu'il croyait éteinte à jamais. Shaheen parlait d'un avenir qu'il n'avait jamais osé imaginer, un avenir où les Hayula seraient des êtres libres, dignes, marchant la tête haute sous le ciel qu’ils avaient si longtemps rêvé.
"Nous avons payé pour des fautes qui ne sont pas les nôtres," poursuivit Shaheen, sa voix se faisant plus grave, plus pressante. "Mais cette dette, si elle a jamais existé, est maintenant réglée. Nous ne devons plus courber l'échine. Nous ne devons plus vivre dans la peur, dans la honte. Ce monde est aussi le nôtre, Shakit, et il est temps que nous le reprenions."
Shaheen marqua une pause. Puis, d'une voix pleine de détermination, il ajouta : "Fuir, et ne pas faire face à ces erreurs, ce n'est pas digne de toi. Ce n'est pas digne d'un Hayula. Un Hayula se relève, il se bat pour ce qu'il croit être juste, même s'il a chuté. Nous portons tous nos fardeaux, mais ensemble, nous pouvons les surmonter. Nous pouvons reconstruire ce monde, pas seulement pour nous, mais pour ceux qui viendront après nous."
Shakit sentit une larme couler sur sa joue, une larme qui portait en elle le poids des années de douleur, de regret, mais aussi un début de libération. Ces mots pénétraient ses défenses, éveillant en lui quelque chose de puissant, d’ancestral. Il se souvenait de la fierté de son peuple, de leur résilience face à des épreuves inimaginables. Il se souvenait de l'amour de sa famille, de la vie qu'ils avaient menée avec dignité malgré la dureté de leur existence. Et il comprenait maintenant qu'il n'avait pas à fuir ce qu'il était, mais à l'accepter, à en faire une force plutôt qu'un fardeau.
"Dans un mois," reprit Shaheen, sa voix redevenue forte et claire, "mon armée se tiendra aux portes de Noyl. Nous libérerons la ville, et ce ne sera que le début. Nous prendrons la capitale impériale à la surface, et nous accomplirons ce que personne n'a jamais osé rêver : nous marcherons sous le ciel, libres, sur la terre qui nous appartient autant qu'à eux. Les Hayula ne seront plus des esclaves dans l'ombre, mais des êtres de lumière, des êtres de liberté."
Ces mots frappèrent Shakit avec une force inouïe. Jamais aucun Hayula n'avait osé imaginer une telle chose. La simple idée que son peuple puisse marcher librement à la surface, dans la capitale impériale, semblait être un rêve lointain, presque irréel. Pourtant, Shaheen parlait avec une conviction si profonde et forte, que ce rêve devenait tangible, à portée de main. C'était un rêve, oui, mais un rêve pour lequel il valait la peine de se battre, un rêve qui avait la force de transformer les cœurs et d’allumer une flamme nouvelle dans le coeur de chaque Hayula.
Shaheen posa une main ferme sur l'épaule de Shakit. "Je veux que tu sois à mes côtés, Shakit. Il est venu l'heure pour notre peuple de se reveiller et de faire comprendre au monde que nous existons aussi. J'aimerai te voir franchir les portes de Noyl et marcher dans la capitale impériale car tu le mérite, car tu es Main Rouge, l'un des rares Hayula à avoir tenu tete aux Khoda devant ses semblables. Parce que je vois en toi un homme de valeur, un homme qui peut changer le monde. Le choix t'appartient, je ne te forcerai pas. Mais je te le demande : joins-toi à nous. Aide-nous à créer un monde où chaque Hayula pourra vivre libre, où plus personne n'aura à se cacher dans les ténèbres. Réfléchis-y, et quand le moment viendra, si ton cœur te le dit, rejoins-nous."
Avec ces derniers mots, Shaheen s'écarta, laissant Shakit seul avec ses pensées, un poids immense sur les épaules, mais aussi une lueur d’espoir dans le cœur. Le vent soufflait doucement à travers les champs, agitant les herbes et caressant son visage. Mais cette fois, ce n'était plus un vent de désespoir, ce n'était plus la brise glacée de la tristesse. C'était un vent de changement, un souffle porteur de promesses, de renouveau, d’un avenir où tout semblait encore possible. Shakit resta là, immobile, figé dans un moment ou le temps semblait arrété, tandis que Shaheen s'éloignait, disparaissant progressivement à l'horizon. La vie lui offrait une dernière chance, une chance de se racheter, de trouver enfin la paix en se battant pour un avenir où son peuple ne serait plus enchaîné, mais où il pourrait enfin marcher sous la lumière, libre. Le choix lui appartenait désormais, et il sentait, au plus profond de lui, que ce choix définirait non seulement son destin, mais celui de tous les Hayula.
La suite dans la partie 2 de l'histoire de Shakit aka Main rouge
PS : J'espère que cette première partie de l'histoire vous a plu. Ce fut beaucoup plus long que d'habitude, mais j'ai pris le temps de développer plein de choses avec ce personnage, et le meilleur reste à venir ! Je pense aussi que c'est sûrement le meilleur article pour une introduction à l'univers de Safir. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé, que ce soit en commentaire ici ou en privé, ce sera un très grand plaisir de vous lire, et surtout, je suis impatient de vous dévoiler la suite de la vie de Main Rouge :)